• Puisqu'ils sont jeunes et con[teneur]s !

    Dans les années 1990, alors que l’ordre mondial issu de Yalta s’écroulait, il a incontestablement incarné [notamment pour nous, jeunes élèves, dans nos cours de géo] la mondialisation des échanges, alors présentée comme la pierre angulaire d’une société globale en voie d’émergence. On parlait alors encore joliment, presque poétiquement, de « village-monde », ou bien de « village-planétaire », même si ces expressions n’étaient pas nouvPorte-conteneurselles.

    Lui, c’est bien évidemment le conteneur, vaste boite de conserve parallélépipédique fourre-tout et extra-polyvalente qui devait arpenter toutes les mers du monde, et modifier à jamais le trafic maritime international. Au point de faire naître et/ou de démocratiser tout un vocable lié : gateway, hinterland, conteneurisation, slot, etc. Tout en s’imposant parallèlement dans le paysage, évidemment maritime avec les NPC (navires porte-conteneurs) qui se multiplièrent en nombre, mais aussi et surtout côtier, avec la naissance de vastes zones portuaires à l’environnement caractéristique avec grues, engins de levage, de tri, lieux de stockage, etc.

    Si beaucoup ne pensait pas un tel ras-de-marrée possible, cinquante ans à peine après son invention aux Etats-Unis, plus rares encore sont ceux qui s’imaginaient qu’il pouvait servir, en version sédentarisée cette fois, à stocker non plus de vulgaires marchandises, mais bien des hommes. Car, en effet, depuis quelques mois maintenant, notre bon vieux « container » est plébiscité à la fois par certains responsables politiques et par nos amis les djeun’s comme … chambre/studio universitaire. La version « faux hall d’immeuble » existe aussi, mais elle a connu, notamment au Havre, moins de succès, nous y reviendrons dans un article ultérieur.

    Mais, qu’est donc venu faire notre conteneur dans cette galère ?

    Le manque d’imagination au pouvoir !

    La question de la situation de crise presque perpétuelle dans laquelle se trouve le logement social et/ou étudiant n’a de cesse de se poser avec âpreté, en France, depuis maintenant plus de cinquante ans. Elle fait régulièrement la une de l’actualité, et pousse les associations de défense des mal-logés et les autorités à s’opposer par médias interposés, à coups de plans et contre-plans, d’actions, de déclarations, de chiffres avancés et immédiatemGrands-ensemblesent contredits, etc.

    Pourtant, ces derniers ne trompent pas, tout comme la multiplication des lois qui témoignent d’un malaise persistant : 156 000 places seulement en cité U ou HLM disponibles pour1,3 million d’étudiants*[1] ; des loyers de 500 à 700 €/mois pour une chambre qui ne dépasse parfois pas les 10 m² ; à peine 160 000 logements sociaux mis en chantier en 2009, année noire, alors que 2008 avait déjà été calamiteuse sur ce plan avec 215 000 unités lancées ; plus d’un million de personnes en attente d’un logement social ; loi SRU de XII/2000 à peine ou non-appliquée dans de nombreuses communes du pays (dont la plus emblématique, Neuilly/Seine), etc. Et les faits divers révélés par la presse les confirment hélas trop souvent. Pour ne citer que deux exemples récents : l’annonce de la démolition de 800 logements d’une cité U d’Antony [liberation.fr, 09/X/09], ou la grève de loyer décrétée par des étudiants lillois face à l’état de délabrement de leur résidence [lemonde.fr, 25/II/10].

    On peut donc aisément comprendre que la solution conteneur ait à ce point intéressé nos édiles et la presse. Alors, en voie de guérison l’éternel mal français ? Pas si sûr ! Pourtant, c’est vrai que l’option « logement /conteneur » possède d’indéniables atouts.

    Sous les pavés, le port !

    D’abord, évidemment, on en trouve pléthore sur tous les sites portuaires français, européens et internationaux qui ne demandent qu’à se reconvertir faute d’usage à l’heure actuelle. Reconversion qui peut d’ailleurs intervenir rapidement (une société lyonnaise en a déjà fait son fonds de commerGrands-ensemblesce, tout comme la hollandaise Tempo/Housing), et sans de lourds investissements de la part de la collectivité. Une source, citée par l’AFP, évoquait trois à quatre millions d’€ pour une centaine d’unités converties (in lepoint.fr du 30/I dernier). Ce qui permet de les proposer à l’achat autour de 30 000 € pièce, et à la location (selon les services qui y sont associés) entre 250 et 450 €/mois. Pour un 50 m², meublé, avec balcon, eau, électricité, et connexion internet, c’est là que cela devient intéressant pour les étudiants.

    D’autant que, autre argument de poids, urbanistiquement parlant, il est possible d’assembler, comme un mécano géant, toutes ces boites sur cinq ou six étages afin de créer de véritables micro-quartiers sans que cela ne nécessite une grande réserve foncière, souvent difficile à mobiliser, notamment en ville. Cela permet même parfois de reconvertir des friches industrielles peu valorisanteIntérieur Conteneur-logements pour l’image de la ville. C’est ce qu’à fait Amsterdam avec deux exemples, l’un de 1 300 logements en centre-ville, et un autre plus restreint aux abords du port (source : reportage de France3).

    En France, c’est la ville portuaire la plus « conteneurisée », Le Havre, qui s’est montrée la plus intéressée par l’expérience, dans le cadre du plan de relance des Universités de la ministre de l’enseignement supérieur, Mme Valérie PÉCRESSE, qui a pu compter sur une rallonge de 50 millions d’€ sur son budget « logement étudiant ». Le maire UMP de la ville normande, M. Antoine RUFENACHT, compte bien mettre ces futurs studios/conteneurs à la disposition des étudiants dès la rentrée prochaine. D’autres municipalités sont sur les rangs, comme Villetaneuse en Seine/Saint-Denis.

    En tout cas, dans l’impossibilité de pouvoir encore analyQuartier Conteneurs-logementsser le cas français, que penser de ce nouveau concept urbain là où il existe déjà ?

    Conteneurisation, piège à cons ?   

    Là où il existe, il est vrai qu’il y rencontre un incontestable succès, notamment aux Pays-Bas. Toutefois, attention de ne pas céder à l’emballement. Surtout que le battage médiatique prend évidemment de l’ampleur (un reportage de France3, c.f ci-dessous, avait fait grand bruit il y a plus d’un an, et j’ai ouï dire que Zone/Interdite se penchera sur le cas prochainement).

    Car, premièrement, là-bas, l’idée s’est accompagnée d’une poursuite des constructions de logements à loyers modérés. Faisant même du pays, la première nation européenne quant au ratio nombre de logements sociaux/habitants*[2]. Et il est d’ores-et-déjà prévu à terme de les démolir, ou de n’en faire qu’une force d’appoint, d’ajustement très limitée. Or, en France, l’introduction du concept semble plutôt, elle, se faire dans un contexte de réponse précipitée, mais surtout pérenne, à la pénurie chronique de logements sociaux et étudiants. Rejoignant du même coup l’expérience « Grands ensembles » menée à grande échelle dans le pays entre 1945 et 1970, dont l’objectif était de combler rapidement les besoins au sortir du second conflit mondial, tout en se limitant normalement dans le temps. On a vu depuis ce qu’est devenue cette solution temporaire/provisoire, désormais accusée suite à son évolution de tous les dérèglements urbains, sociaux, et sociétaux du pays. Il ne faudrait donc pas transformer l’expérience « container », sans doute utile à mener, en un simple « remake » encore plus mal fagoté que l’original. En somme, ne pas inventer simplement de grands ensembles « new-generation » ou « 2.0 » qui, vu les politiques publiques menées en la matière, suivraient le même triste chemin que leurs ainées. D’autant que l’on annonce une durée de vie encore plus limitée pour ces logements modulaires que pour leurs aïeux de béton, à peine une soixantaine d’années. C’est donc dès maintenant qu’il faut réfléchir, tout en développant l’expérience, aux logements pérennes et écologiquement durables de demain.

    Cela dit, d’autres tares sont à souligner égalemenRéhabilitation-destructiont. Et pour le coup, ce sont bien elles qui risquent de devenir la véritable plaie pour les résidents, car vécues au quotidien. Ainsi, que dire du manque total d’isolation phonique et thermique des logements/conteneurs. Les étudiants amstellodamois s’en plaignent déjà avec insistance, plaisantant sur l’activité nocturne qui n’est même pas toujours très intense de leurs voisins de chambre.

    Ensuite, à l’image de ce qui s’est fait pour les grands ensembles dans les années 1950/1960, il ne faudrait pas que se crée de nouveau, avec la naissance de ces micro-quartiers conteneurisés, des néo-ghettos urbains enclavés, délaissés par les services publics ou les commerces. Certes, à Amsterdam, la présence, au cœur de l’îlot créé, d’un supermarché ou d’un atelier de réparation de vélos impulse une dynamique urbaine indéniable. Toutefois, cela vaut surtout pour l’exemple du centre-ville, pour le bâtiment né sur les friches portuaires, on insiste déjà davantage sur la vue que sur les services pour faire venir les étudiants. Et côté transport, c’est faîtes la « vélorution », et ne compter pas trop sur une offre publique qui, sachant les coûts et les durées de mises en chantier, ne serait de toute façon pas disponible avant plusieurs années, voire décennies. Ce qui la rendrait alors du même coup injustifiable auprès de la collectivité, si l’on évacue les conteneurs dix à vingt ans après !

    Bref, le conteneur en ville est à tenter. Mais, il faudra être vigilant sur ce que veulent en faire les décideurs afin que l’on ne renouvelle pas certaines expériences urbaines malheureuses qui se sont transformées, bien malgré elles, en cauchemar pour leurs habitants, et qui sont trop souvent à tort pointées du doigt aujourd’hui par les mêmes responsables qui les vantaient il y a peu. En tout cas, espérons surtout que la réalité ne rejoigne pas la science-fiction qui pourrait bien encore avoir été visionnaire sur ce plan. Auquel cas, nous serons tous des Korben DALLAS [c.f le Cinquième élément] en puissance dans nos boites de conserve sagement empilées.

    Eric BAIL pour èV_

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    [1] Chiffres représentant les étudiants qui ne vivent pas chez leurs parents, sur un total de 2,2 millions d’étudiants en France. Chiffres de 2007 in dossier « L’éternel crise du logement étudiant », letudiant.fr et lacroix.fr.

    [2] 147/1 000 habitants aux Pays-Bas, contre 70 à peine pour la France. Source : fr.wikipedia.org.

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    Vidéo - reportage de France3 :

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    Sources : letudiant.fr ; lacroix.fr ; lepoint.fr ; leparisien.fr ; lavieeco.com ; couleurgeek.com ; espacetemps.net ; TELLIER (Thibaut), Le Temps des HLM, 1945/1975, La saga urbaine des Trente Glorieuses, Paris, Autrement, 2007, 220 p.

    Vous aurez bien évidemment souligné, en ce qui concerne les sous-titres, la référence estudiantine à V/68 : « l’imagination au pouvoir » ; « sous les pavés, la plage » et « élections, pièges à cons ».


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