• Un pavillon complaisant avec la médiocrité.

           L’exposition universelle « crue 2010 » vient donc d’ouvrir ses portes le vendredi 30/IV à Shanghai, la capitale économique de la Chine ainsi que sa ville la plus peuplée (environ 20 milliPavillon chinoisons d’âmes/source : french.china.org.cn), pour une durée de six mois, jusqu’au 31/X prochain*[1]. Pensée par le pouvoir communiste dans le prolongement des JO de Pékin d’il y a deux ans, l’expo2010, de par sa démesure, devrait conforter un peu plus l’image que le reste du monde se fait (doit se faire ?) de la Chine moderne. En effet, celle-ci devrait pulvériser tous les records établis jusqu’à présent en la matière comme le firent en leur temps les JO2008. Ainsi, on chiffre à 30 milliards d’euros les investissements réalisés. Sa superficie est établie à 5,3 km², soit 1,5 fois Central-Park ou l’équivalent du XIVe arrondissement de Paris. Y prendront part un peu moins de 250 participants, pays ou organisations, pour comparaison, l’Expo70 d’Osaka en accueillit moins de 80 ; celle de Séville en 1992 une centaine. On y attend plus de 100 millions de visiteurs, ce qui représenterait le double de ce que connurent en leur temps les succès parisien de 1900 ou montréalais de 1967. Et que dire des milliers de Chinois et centaines d’usines déplacés pour l’occasion, puisque les autorités ont choisi une prestigieuse implantation en plein centre/ville, comme purent le faire autrefois certaines métropoles (on pense à Paris évidemment)*[2].

    En tout cas, si on ne sait plus vraiment à quoi servent aujourd’hui ces grands messes un peu désuètes, alors qu’elles avaient au moins jadisPavillon Mies Barcelone la prétention d’être une sorte de vitrine des innovations, des savoirs, des techniques de l’humanité (enfin une infime partie, celle qui avait accès aux richesses), on ne sait que trop bien en revanche qu’elles sont le moment privilégié pour chacune des nations participantes de donner au monde une certaine représentation d’elle-même. Un principe immuable des expos depuis leur création mi-XIXe. Souvenons-nous par exemple du pavillon allemand de MIES VAN DER ROHE à Barcelone en 1929 (c.f ci-dessus) chargé de montrer une image moderne et dynamique de la jeune République de Weimar déjà fortement contestée. Souvenons-nous aussi de celui de la France à l’expo de Bruxelles en 1958, avec sa flèche élancée fièrement dans le ciel, prouvant au monde le retour du pays sur la scène internationale après la lourde défaite de 1940, et au cœur des déboires coloniaux et alors que la IVe République agonise. Et dans un registre plus dramatique, comment oublier ceux de l’Allemagne nazie (signé Albert SPEER) et de l’URSS stalinienne à Paris en 1937 préfPavillon Mies Barceloneigurant déjà la lutte à venir, et qui cristallisèrent toutes les attentions et les tensions autour de leurs imposantes structures se faisant face, et qui étaient triomphalement surmontées pour l’un de l’aigle nazi, pour l’autre d’une gigantesque statue de l’ouvrier et de la kolkhozienne.

    Sur ce point, Shanghai ne déroge évidemment pas à la règle. On pourrait multiplier les exemples*[3], nous nous contenterons d’évoquer les plus significatifs, même si je reconnais dans mes choix une subjectivité certaine.

    Tout d’abord, commençons par l’hôte de cette nouvelle édition, la Chine et son pavillon, disons, renversant. PouPavillon Mies Barceloner 150 millions d’€, encore un nouveau record, l’empire du milieu se paye un édifice rouge vif aux dimensions imposantes, puisqu’il atteint les 63 mètres de haut. Impression grandiose d’ailleurs renforcée par la localisation du pavillon, sur un espace dégagé de plus de 160 000 m², et par la limitation imposée par les organisateurs aux autres participants pour leurs propres constructions, à savoir pas plus de 30 mètres de haut. Le nom du pavillon choisi par les autorités communistes est également significatif, « Couronne de l’Orient ». Il paraît évident, qu’à travers lui (comme en 2008 de ses jeux et de sa délégation), la Chine entend bien poursuivre son œuvre décomplexée d’affirmation de son leadership sur l’Asie (voire au-delà), tout en démontrant sa puissance politique, économique, démographique, militaire, technologique, etc., de par les dimensions et prouesses techniques du bâtiment (notamment des étages supérieures en porte-à-faux de façon impressionnante).

    Toutefois, son architecture souligne aussi l’amPavillon chinoisbivalence de la position de l’empire du milieu. Car, en choisissant délibérément la couleur rouge de la Cité interdite, et la forme, renversée, de l’ancestral palais de l’Harmonie suprême, tout en y exposant la couronne impériale et en y célébrant les différentes ethnies en son sein, elle fait directement référence à son passé, en réaffirme la force, la beauté (ce qui n’a pas toujours été le leitmotiv des autorités communistes), tout en souhaitant donner d’elle une image apaisée, sûre d’elle et de ses valeurs, fière de son unité, etc. Tout un programme !

    Deuxième exemple avec le piquant pavillon britannique. L’objectif de l’architecte anglais/concepteur, Thomas HEATHERWICK, était « de donner aux Chinois une image non conventionnelle de la GrandPavillon britanniquee-Bretagne ». C’est plutôt réussi, puisque la structure en acier haute de vingt mètres en forme de cube suscite l’étonnement, y compris chez de vieilles connaissances des Anglais que nous sommes, du fait de sa peau hérissée de 60 000 filaments transparents et ondulants au gré des vents. Certes, le grain de folie britannique se retrouve ici et conforte finalement l’image que pouvaient se faire jusqu’à présent les étrangers, et notamment les Asiatiques qui seront les principaux visiteurs de l’expo2010, du « spirit made in britain ». Mais, tout de même, on est loin d’un bâtiment conventionnellement architecturé pour une expo de ce genre. Ça ne ressemble à riePavillon britanniquen, ça ne sert pas à grand-chose (ou alors vous aimez les massages XXL ; d’autant que l’intérieur est à peu près identique), et la Grande-Bretagne ne se dévoile pas à travers lui, au moins de prime abord. L’architecture crée donc plutôt ici un objet d’art au sens littéral du terme. D’ailleurs, son créateur le conçoit comme tel quand il affirme que « le pavillon doit faire mieux comprendre la richesse de la culture contemporaine britannique ».

    Concluons enfin avec le pavillon français, signé Jacques FERRIER, surnommé « Sensual City » (sic). Le message paraît clair, en tout cas à l’opposé de nos amis britanniques, il faut conforter aux yeux des Chinois l’image qu’ils peuvent se faire de l’hexagone. Peut-être que les tensions entre nos deux pays ces dernières années y sont pour quelque chose dans ce classicisme affichée, et réaffirmée sans fard. Ce qui se voit dans le contenant tout autant quPavillon française dans le contenu.

    Ainsi, extérieurement, FERRIER nous gratifie d’un bâtiment à la forme plus que conventionnelle, un simple parallélépipède, qu’il habille pour en masquer sans doute la trop grande simplicité (pauvreté ?) architectonique avec un ersatz d’exo/squelette (c.f ci-dessous), puisqu’il ne s’agit en rien de la véritable structure, et qui en plus sent un peu le réchauffé. En effet, il semble bien que ce concept soit un peu passé de mode du côté des architectes depuis un moment. Mais bon, FERRIER semble surtout l’utiliser pour rompre la monotonie des lignes de son bâtiment, chose dont il est souvent coutumier*[4]. En tout cas, cela montre surtout le niveau de la créativité tri4/transports.colore en ce moment. Et encore avons-nous échappé au projet RICCIOTTI !

    Que renferme ensuite ce pavillon français ? Des toiles sorties du musée d’Orsay (musée consacré pour ceux qui l’ignorent aux œuvres artistiques du second XIXe siècle), dont la « Salle de danse à Arles » de VAN-GOGH (1888), ou « l’Angélus » de MILLET (1859) ; les jumeaux Pourcel pour illustrer la prestigieuse gastronomie « made in France de papa », et un jardin/terrasse à la française, du Le Nôtre version « french touch », mais qui sent quand même bon le XVIIe siècle.

    Enfin, et pour couronner le tout (et je vousPavillon français assure qu’il ne s’agit pas de plaisanteries de ma part), une mascotte qui répond au doux nom, labellisé « terroir français », de Léon (un prénom à la mode entre 1910 et 1940, et qui est donné chaque année depuis 10 ans environ à au moins 250/300 bébés français, c’est dire que c’est représentatif de notre pays*[5]), et un parrain, que dis-je, le parrain (il vous en prie !) bien connu pour être un dieu vivant au Japon (peut-être que l’on souhaite réitérer la chose avec les Chinois), j’ai nommé le monument, l’éternel, le modeste Alain DELON.

    Oui je sais,  je m’écarte un peu de l’architecture, mais cumulé, ça fait tout de même beaucoup. En tout cas, il semble bien que la « France d’après » aime se représenter avec pas mal d’attributs de la France d’avant et, ce qui est plus grave à mes yeux, ne cherche même pas à ce qu’on la perçoive différemment… Vive Shanghai1810… euh 2010 pardon !

    Eric BAIL pour èV_

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    [1] Certains TO proposent des packs vol/chambre 2 personnes, hôtel 3* ou 4* pour 8 jours/billet 2 jours pour l’Expo2010 compris, pour environ 1 500/1 600 € ; réservation ici.

    [2] Chiffres issus du dossier consacré à Shanghai2010 par le figaro, consultable ici ; et en ce qui concerne les anciennes expos, google.fr.

    [3] Ainsi, j’aurais pu parler du pavillon transalpin. Sa sobriété et ses lignes épurées façon mouvement moderne font indéniablement échos aux valeurs attribuées de longue date au design ou à l’architecture italienPavillon italiens. Alors que ses multiples lignes de rupture peuvent renvoyer à la diversité et à la complexité des différentes composantes de l’Italie d’aujourd’hui. Tandis que ses sas d’entrée et sa couverture (partiellement pour cette dernière) vitrés peuvent souligner le souci de transparence d’un pouvoir berlusconien contesté sur ce plan.

    Vous pouvez retrouver un aperçu de quelques-uns des pavillons de Shanghai2010 sur le site archiportale.com (pour celles et ceux qui pratiquent la langue de Dante évidemment ; même si vous pouvez vous contenter des très belles photographies des édifices).

    [4] C.f les ateliers pour tramways de Bordeaux de 2002, la cité de la voile de Lorient de 2007, le parking de Soissons de 2009 (assez intéressant au demeurant), le pont de chemin de fer de Choisy-le-Roi de 2010, etc. ; source : archiguide.fr.

    [5] Source : prenoms.com.

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    Vidéo du pavillon français où la journaliste d’Europe1 n’est pas avare de compliments sur la réalisation de FERRIER, même si on ne comprend pas toujours très bien où elle veut en venir. Extrait : « C’est le pavillon qu’on voit de loin » ; « Versailles de science-fiction » (sic) ; « écrin d’une véritable cascade verte », à vous de juger :

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    Sources (y compris pour les photographies) : lefigaro.fr (dossier consacré à Shanghai2010) ; lemonde.fr ; archiportale.com ; pavillon-france.fr (site officiel du pavillon français de Shanghai2010) ; fr.expo2010.cn (site officiel de Shanghai2010).


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