• Quand l'Etat n'est pas là, la souris danse.

     

     « Nous sommes en 2010 après Jésus-Christ. Toute la Gaule est occupée par la racaille et les pauvres... Toute ? Non ! Un  village d’irréductibles classes moyennes supérieures et de cadres résiste encore et toujours à la chienlit. Et la vie n’est pas facile pour les voyous des cités délabrées et délaissées de Clichy, Meaux, Créteil et Corbeil… »

    C’est ainsi que l’histoire pourrait commencer. Et pour beaucoup, c’est même ainsi qu’elle s’écrit de plus en plus au pays d’Astérix, dont vous aurez évidemment remarqué le clin d’œil avec cette courte introduction abusivement subjective.

    En effet, la semaine dernière (ndlr – mardi 14 septembre 2010), la multinationale du divertissement américaine, la Walt Disney Company, et l’Etat ont signé une prorogation de treize ans de la convention qui les lie dans l’est parisien depuis 1987, et qui devait s’achever initialement en 2017. Un nouveau Disneyland Affiche.partenariat qui vient confirmer, et même considérablement amplifier, certaines clauses du précédent. Faisant resurgir du même coup le spectre d’une libéralisation/privatisation totale de la ville à quelques encablures seulement de la capitale.

    Car, plus qu’à un mariage d’égal à égal, c’est davantage à la signature d’un néo blanc-seing en faveur des saltimbanques US que nous venons d’assister. Dans l’indifférence quasi générale et alors que l’empire yankee et son interprétation de l’american way of life ont déjà ravagé une partie de la Seine-et-Marne depuis vingt ans.

    Je ne parle évidemment pas des deux parcs d’attractions dont on ne peut contester aujourd’hui l’impact plutôt positif sur l’emploi ou l’image de la région. Après tout, entre 12 et 15 millions d’entrées y sont enregistrées chaque année (source : insee.fr). Quant au « Tchernobyl culturel » dénoncé il y a vingt ans par Ariane MNOUCHKINE, co-fondatrice du Théâtre du Soleil, il semble maintenant bien loin. Jeunes et vieux, autochtones et touristes, élites et France d’en-bas se côtoient désormais allégrement et sans remords dans le monde merveilleux de Disney.

    Ce qui pose davantage de problèmes, c’est la mainmise exercée par la firme nord-américaine sur une grande partie de la ville nouvelle de Marne-la-Vallée, le secteur IV précisément*[1]. Avec le consentement bienveillant des dirigeants loCarte Marne la Vallée.caux, régionaux et de l’Etat, à court d’idées tout autant que d’argent. Et l’avenant de cette semaine vient encore conforter cette grande latitude d’action des laborantins de chez Mickey en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire sur cette zone de l’Ile-de-France. Et même bien au-delà, puisque le périmètre désormais concerné par la nouvelle convention a été étendue de 1 900 ha à plus de 2 200.

    Traduction : on connaissait déjà depuis vingt ans le Val-d’Europe avec son architecture kitsch et pastiche, ses habitants plutôt privilégiés, sa centralité consumériste*[2], en somme son urbanisme post-providentialiste*[3]. Désormais, il faudra s’habituer dans les années futures au stade supérieur de l’anti-ville. En effet, associée au groupe touristico-immobilier de masse Pierre & Vacances/Center Parks, la Disney Company envisage la création ex-nihilo de villages (auxquelles pourrait même s’ajouter un troisième parc !), établis autour de principes urbanistiques et sociétaux qui échapperont totalement au contrôle de l’aménageur public. La loi SRU (ndlr – celle qui impose à chaque commune de consacrer au parc social au moins 20 % de ses logements) n’y sera sans doute pas la bienvenue, tout comme du reste au Val-d’Europe depuis l’origine, même si la firme annonce sur les 20 000 logements permanents à édifier, un tiers de sociaux (source : challenges.fr des 14 et 15/IX, ici). A suivre !

    Les arguments des opposants au « tout Mickey » pourraient capitaliser sur ces thématiques pour attiser la mobilisation. Mais, dans un monde où l’individualisme prime et où l’ultralibéralisme a triomphé, celle-ci devient bien difficile. Peut-être plus encore dans un pays où le président avait justement choisi le monde merveilleux de Mickey pour médiatiser sa nouvelle relation sentimentale.

    Evidemment, ce sont surtout les promesses d’investissements considérables, autour de deux milliards d’€ (mais on évoque le chiffre de huit milliards à terme – source : lenouvelobs.com du 15/IX), et les créations promises d’emplois (jusqu’à 70 000) qui sont alléchantes pour un pays en panne de croissance. Même si la firme étatsunienne démontre ici son adresse en la matière puisqu’elle incorpore dans ce chiffre les emplois directs évidemment, mais aussi indirects et induits. Ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Mais, ceux qui pourraient relever le subterfuge, à savoir nos dirigeants, n’ont sans doute pas l’intelligence d’Ulysse et ses compagnons et se laissent in fine tenter par le chant des sirènes…

    Pire même, puisqu’en sus des concessions accordées, le conseil général de Seine-et-Marne d’abord, avant le conseil régional d’Ile-de-France où l’unanimité a prévalu entre tous les partis politiques, excepté les Verts, se sont engagés à divers aménagements en faveur de la compagnie américaine. Prolongement d’Eole (Rer E) que l’on attend pourtant davantage à l’ouest de Paris ; construction de nouveaux accès autoroutiers (A4) en pleine forêt de Seine-et-Marne, qu’il est loin le Grenelle de l’environnement, et diverses créations ou extensions de lignes de transport, les 600 000 usagers quotidiens qui s’entassent dans les rames d’une ligne 13 au bord de l’explosion apprécieront le geste… Les premiers coups de pioches sont, eux, annoncés pour 2015.

    Le banquet aura alors peut-être bien lieu au village, mais dans le rôle du barde muselé tenu à l’écart de la fête, Assurancetourix, on pourrait bien y retrouver l’Etat français, c’est-à-dire nous.

    Eric BAIL pour èV_

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    [1] Elle est l’une des cinq villes nouvelles de la région parisienne, créées à partir de 1965, avec Cergy-Pontoise, Melun-Sénart (qui deviendra Sénart), Evry et Saint-Quentin-en-Yvelines. Composée de trois, puis quatre secteurs (Porte de Paris, Val Maubuée, Val de Bussy et le petit dernier le Val d’Europe), elle regroupe vingt-six communes (liste exhaustive sur le site du département de la Seine-et-Marne, ici). Elle regroupait en 2007 environ 250 000 habitants, dont 12 000 pour les cinq communes (Chessy, Serris, Magny-le-Hongre, Coupvray et Bailly-Romainvilliers) du secteur IV.

    [2] Je parle évidemment du centre commercial du secteur IV construit dans un pur style pastiche « baltardien XIXe». Espérons que les générations futures ne se feront pas une idée des pavillons de BALTARD, les vrais, à partir de cette abominable copie.

    [3] Excellemment mis en évidence par le journaliste Hacène BELMESSOUS dans son petit opuscule « Le nouveau bonheur français ou le monde selon Disney » aux éditions de l’Atalante, sorti en 2009.

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    Sources : BELMESSOUS (Hacène), Le nouveau bonheur français ou le monde selon Disney, Editions de l’Altalante, Nantes, 2009, 155 p. ; insee.fr ; la-seine-et-marne.com ; lenouvelobs.com ; challenges.fr ; leparisien.fr ; wikipedia.org.

    Merci à Raphaëlle, Lorène, Yann et Julien pour les corrections qu’ils ont apportées à cet article. 


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