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Quand la STCRP faisait surface.
Difficile de passer à côté d’elle quand on habite Paris et sa région. On a même peine à croire qu’elle ait pu un jour ne pas exister tant elle y est omniprésente. Il s’agit, vous l’aurez tous deviné, de l’une des plus célèbres « entreprises » de France, la RATP (Régie autonome des transports parisiens). Et pourtant, vous aurez beau chercher ses initiales ou son logo sur les matériels parisiens de transport collectif d’avant 1948, vous ne les trouverez pas. Et pour cause, elle n’existait pas encore. Vous surprendrez même sans doute beaucoup de Franciliens quand vous leur apprendrez que ce n’est pas une, mais bien deux compagnies de transport qui se partageaient ce marché avant guerre. L’une gérant alors exclusivement le métropolitain, la CMP (Compagnie du métropolitain de Paris), l’autre ayant la charge de l’ensemble des moyens de transport de surface, la STCRP (Société des transports en commun de la région parisienne).
C’est à l’histoire mouvementée de cette dernière que nous nous intéressons ici. De sa naissance après la première guerre mondiale à sa mort en plein cœur de la seconde.
La situation des TCRP au sortir de la guerre.
A l’orée des années vingt, différentes compagnies se partagent le marché des transports en commun de surface à Paris. Elles y exploitent des OA (Omnibus automobiles*[1]), des tramways, des bateaux, ou des lignes de chemin de fer plus classiques, v
oire plusieurs de ces modes à la fois.
La plus importante d’entre-elles est bien évidemment la CGO (Compagnie générale des omnibus) . Elle naît du décret impérial du 22/IX/1855, selon les vœux du préfet HAUSSMANN, au moment de l’exposition universelle organisée à Paris. Elle fusionne alors la dizaine de sociétés qui existe dans la capitale depuis les années 1820. Très rapidement, elle développe divers matériels, s’intéresse aux innovations, venues entre autres des pays anglo-saxons, comme le tramway. Elle finit par marquer profondément les esprits et le paysage parisiens, notamment après l’adoption de la célèbre voiture Brillié-Schneider à impériale (photo ci-dessous), symbole des transports en commun de surface de la Belle Epoque. Parmi les autres compagnies qui se partagent le marché en surface, on trouve la TPDS (Compagnie des tramways de Paris et du département de la Seine) née en 1890 et qui reprend le réseau des Tramways Nord ; la CGPT (Compagnie générale des tramways parisiens), née la même année de la reprise du réseau des Tramways Sud, compagnie
défunte en 1887 ; l’Est parisien ; le Paris-Arpajon ; le Rive gauche ; le chemin de fer nogentais ; le chemin de fer du bois de Boulogne ; le Séquestre parisien, etc.
La situation de toutes ces compagnies n’est pas des plus brillantes au sortir du premier conflit mondial. Entre dépôts de bilan et faillites, elles survivent davantage qu’elles ne se projettent dans l’avenir. Ce qui peut paraître paradoxal au moment même où Paris et surtout sa banlieue connaissent une croissance spectaculaire*[2]. C’est que la première guerre mondiale a laissé des traces. Ainsi, la mobilisation des personnels, les interruptions de service, les réquisitions de bus, l’utilisation des dépôts par l’armée ont déstabilisé durablement les réseaux, et ont mis à mal les infrastructures et le matériel. Et si le trafic reprend bien dès VIII/1916 sur l’une des plus célèbres lignes de la capitale, la « Madeleine/Bastille », il ne reste, en 1919, qu’une centaine d’OA pour assurer l’ensemble du service et près de la moitié des mille kilomètres de voies tramways est hors d’état. On ne dénombre plus du reste que vingt-cinq lignes en exploitation cette année-là, contre une quarantaine avant-guerre.
C’est dans ce contexte que le préfet et le département de la Seine imposent, dès 1920, l’unification des réseaux de surface. Le but est de faciliter l’extension d’un réseau que l’on veut plus cohérent, et donc plus efficace et moins coûteux.
Les espérances des années 1920.
S’il faut attendre le 01er/I/1921 pour que la STCRP débute réellement son activité, c’est bien la convention d’affermage, signée le 20/IX/1920, et approuvée par décret le 25/XII de la même année, qui représente l’acte de naissance de celle-ci. Elle lui confie, théoriquement jusqu’au 31/XII/1950, l’exploitation de 112 lignes de tramways, de 41 lignes d’OA, le réseau de la compagnie des b
ateaux parisiens, soit une quarantaine de kilomètres, ainsi que quelques lignes de chemin de fer, dont le Suresnes/Garches. Pour ménager la défunte CGO, c’est son président, M. André MARIAGE, qui est placé à la tête de la nouvelle compagnie privée de service public parisienne.
S’en suit alors une politique d’homogénéisation des réseaux et des matériels. Cela passe, dans un premier temps, par des rachats tous azimuts. Phase qui s’étend jusqu’en 1928. Le chemin de fer du bois de Boulogne, le Paris/Arpajon, ou le Séquestre de l’Ouest parisien passent ainsi dans le giron des TCRP entre 1922 et 1924. La seconde étape de cette volonté d’uniformisation, plus visible encore, concerne évidemment le matériel. Elle débute en 1927/9 avec la mise en service de nouveaux tramways, les motrices GS1, AS1 et surtout L*[3](c.f ci-dessous), plus rapides, plus légères qui remplacent les vieilles automotrices Rowan et Purrey de la CGO. Elle se poursuit, côté OA, avec l’achat des premiers Renault PN et TN, plus puissants, plus confortables et rentables qui rendent subitement archaïques les vieux omnibus à impériale et les Schneider de la Belle Epoque. Elle se termine enfin par l’adoption de nouvelles couleurs pour tous les matériels en service, le vert pour le bas de caisse et le crème pour le haut.
Après les années sombres, la volonté des dirigeants et des autorités tutélaires (préfecture et département) est de se tourner résolument vers l’avenir. L’exten ion du réseau en est l’un des plus parfaits révélateurs, d’autant plus que la proche comme la plus lointaine banlieue ne restent pas
à l’écart. Des bus sont ainsi conçus dans les ateliers de la STCRP exclusivement pour ce marché, comme le Renault PY Banlieue qui innove en adoptant le premier des portes à vantaux. Autre signe de la confiance retrouvée, on adapte tous les OA à la ville moderne en les équipant de pneumatiques qui améliorent le confort pour les passagers.
Mais quelques signes viennent troubler ce constat et annoncent déjà des jours difficiles. D’abord, le déficit budgétaire de la compagnie ne cesse de se creuser et atteint déjà près de six millions de francs en 1925, et ce n’est qu’un début. Ensuite, le tram entre dans une spirale dont il ne sort plus jusqu’à sa disparition à la fin de la décennie suivante, avec la première fermeture de ligne, la « 78 » en 1925, ou la publication du rapport JAYOT en 1927/8 qui préconise tout simplement sa suppression du centre de la ville.
Alors que les débuts sont si proches, la fin n’apparaît déjà paradoxalement plus si lointaine pour la STCRP.
Les années 1930 : agonie ou renouveau ?
Il ne faut toutefois pas se pencher sur cette période a posteriori, et n’y voir, comme beaucoup, qu’une lente agonie de la STCRP qui ne pouvait conduire qu’à sa disparition au début de la guerre en 1941/2. Car, les difficultés et les échecs, réels et nombreux pendant ces dix à quinze années, ne doivent pas occulter les espoirs qu’ont suscités à l’époque certaines décisions.
Il en est ainsi de la disparition des tramways. On peut effectivement voir cet évènement majeur pour l’avenir des transports à Paris de deux façons différentes. La première, celle qui est généralement admise, consiste à n’y voir qu’une monumentale erreur qui n’a fait que précipiter un peu plus rapidement la STCRP ve
rs l’abîme*[5]. Dans cette vision, le rapport de la direction générale des transports de la Préfecture de la Seine*[6] qui préconise leur suppression du centre de Paris n’a pu être commandité que par les « groupes de pression » de la route, associant constructeurs automobiles, fabricants de pneumatiques et pétroliers qui avaient tout intérêt à ce que le bus prenne le dessus sur le tram. Pressions qui ont fini par faire pencher la balance du bon côté (ou du mauvais selon le point de vue) et ont fini par avoir la peau du tram dans la région parisienne, en moins de dix ans. Pourtant, si on regarde sérieusement la situation au début des années 1930, une autre analyse est possible. Tout d’abord, résumer le rapport JAYOT à la seule proposition de supprimer le tram dans la capitale est erroné. Ce dernier établit en effet aussi un plan concret qui vise la fin des doublons métro/surface, et propose une coordination STCRP/CMP avec la création d’un organisme unique. Ce qui n’est autre que l’étape logique et suivante dans la volonté d’unifier toujours plus les réseaux de transports à Paris qui a débuté avec la naissance des TCRP en 1920 et qui se termine en 1949 avec la création de la RATP. Ensuite, au-delà des polémiques, on peut se demander si la Société des transports en commun de la région parisienne avait encore un réel intérêt à conserver un service tram au côté de ses OA ? Surtout à une époque où la modernité se situe du côté de la route et de l’automobile*[7], du moins le croit-on encore. Le tramway apparaît bruyant, peu fiable, peu confortable par rapport à l’autobus. Et surtout, alors que la banlieue s’éveille, croît et évolue presque chaque jour, le tram enserré dans ses rails ne répond plus guère aux besoins d’une entreprise moderne de transports qui doit suivre sa clientèle, sans engager de lourds et coûteux travaux d’infrastructures*[8].
C’est pourquoi, cette disparition, si durement ressentie par certains comme le personnel tram craignant légitimement pour son avenir, est si rapide à Paris. Puisque la première vague de suppressions s’ouvre en III/1930 et s’achève à peine sept ans plus tard, presque jour pour jour, le 15/III/1937 avec la mise au placard du dernier tramway, sur la ligne 123/124 (photographie ci-contre).
Il faut donc tenter de ne pas faire de cet évènement majeur le début de la fin pour la compagnie parisienne de transports de surface. Car les années trente, c’est aussi pour elle le succès du service de nuit qui transporte tout au long de la décennie entre 200 000 et 300 000 personnes annuellement, et ce jusqu’en IV/1939. Et si plusieurs de ces lignes disparaissent à cause de leur non rentabilité*[9], c’est davantage du fait de la concurrence acharnée des taxis et des tarifs pratiqués qui sont beaucoup trop faibles.
Ensuite, le nombre de voyageurs transportés n’a jamais cessé de croître pour atteindre un pic lors de l’exposition universelle de 1937. La STCRP transporte, cette année-là, plus d’un milliard de personnes dans ses bus et ses tramways. De même que les recettes qui sont passées de moins de 800 millions de francs en 1930 à plus de 900 millions huit ans plus tard. Autre signe d’espoir, par décret-loi du 12/XI/1938, le Comité des transports parisiens, le CTP, est créé. Une nouvelle ère s’ouvre pour les transports parisiens puisque désormais c’est l’Etat qui possède les pouvoirs décisionnels ouvrant de nouvelles perspectives de développement.
Des doutes à la débâcle.
Mais voilà, alors que l’uniformisation, tant sur le plan du réseau que sur celui du matériel, a été plutôt réussie, que le virage moderne que représente le passage au « tout auto » apparaît également plutôt bien négocié, les signes de faiblesses ne manquent pas.
Ainsi, les dépenses plombent le résultat et la société s’englue dans une crise financière de grande ampleur dont elle ne parvient pas à se dégager. Le déficit atteint ainsi, en 1935, 55 millions de francs contre à peine six millions, dix ans plus tôt. Ensuite, le nombre d’agents, lui aussi, ne cesse de diminuer passant de 31 105 en 1931 à 26 605 en 1938. La direction cherche, par des mesures d’économie de personnels, la parade à sa crise financière. Au risque de démotiver, de désenchanter les salariés qui restent et qui doutent déjà dans une période de crise
plus globale de la société française. Il n’est dès lors pas difficile d’imaginer que la situation peut tourner à la catastrophe si un évènement extraordinaire, au sens littéral du terme, devait surgir. C’est justement ce qui se produit à la fin de l’année 1939 avec la déclaration de guerre, avant que le déclenchement des hostilités au printemps 1940 ne vienne asséner le coup de grâce. Car, la STCRP à bout de souffle ne peut plus alors répondre aux nombreux défis qui lui sont posés : de la mobilisation des hommes et des matériels comme vingt-cinq ans plus tôt à la CGO, à la désorganisation des réseaux, en passant par la pénurie de carburant, jusqu’à
l’occupation de la capitale par l’ennemi.
Elle tente bien de poursuivre son activité en adaptant certains de ses bus aux nouvelles conditions de vie dans la France occupée. C’est ainsi qu’apparaissent les premiers bus circulant à l’alcool ou au gaz (ci-dessus), soit par adjonction d’un immense réservoir sur le toit, soit par ajout d’un gazogène sur le côté gauche du bus, derrière la cabine du conducteur. Et face à la difficulté accrue d’approvisionnement de ces énergies, la compagnie ne se résigne pas, et innove encore en développant les trolleybus qui fonctionnent à l’électricité (amenée par des perches façon tramway). Toutefois, son réseau réduit au minimum depuis l’armistice ne lui permet pas de remonter la pente. Mais, c’est une loi du gouvernement de Vichy, adoptée le 26/VI/1941 (et non votée puisque le parlement a cessé de se réun
ir depuis 1940) qui la fait disparaître en obligeant la surface et le métro à fusionner. Ce qui est fait le 01er/I/1942, sous l’égide de la CMP.
La STCRP n’a donc existé qu’une petite vingtaine d’années. Temps relativement court au regard de l’histoire des transports en commun en région parisienne. Toutefois, elle a marqué les esprits en coordonnant tous les réseaux préexistants en surface, en développant des matériels adaptés à la ville moderne dont les héritiers circulent toujours aujourd’hui, et en prenant des décisions déterminantes comme la suppression du tramway. Elle a finalement fortement contribué à ce que la RATP puisse voir le jour dès la fin du conflit, en 1948.
Et aujourd’hui, quand vous verrez passer devant vous une rame de métro et/ou un bus parisiens, pensez bien que leur parure verte et blanche est bien l’un des legs de la défunte Société des transports en commun de la région parisienne.
Eric BAIL pour èV_
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[1] Clive LAMMING rapporte à la page 45 de son livre Paris Tram, édité aux éditions du Parigramme, que le nom d’omnibus est, pour la première fois, apparu à Nantes au début du XIXe siècle. Les voitures qui débutent alors leur course devant la boutique d’un chapelier local nommé Omnes, dont l’enseigne est « Omnes omnibus » (Omnes pour tous) sont très vite surnommées en conséquence et conservent ce nom par la suite. A la troisième page du numéro 3 des Cahiers de la mémoire concernant le bus, Jean TRICOIRE relate la même anecdote.
[2] Alors qu’au début du XIXe siècle, Paris ne compte que 500 000 habitants, elle atteint près de trois millions d’âmes à la veille de la première guerre mondiale, tandis que sa région passe dans le même temps de 1,5 million à près de six millions d’habitants.
[3] « L » pour légère, car les automotrices ainsi désignées possèdent un châssis plus léger de type automobile. La STCRP disposa jusqu’à 475 tramways de ce modèle.
[4] Le service « bateaux » est supprimé le 5/V/1934. La ligne Paris/Arpajon l’est, elle, entre le 1er et le 25/I/1937 à cause du déficit budgétaire colossal de la compagnie.
[5] Décision jugée d’autant plus sévèrement aujourd’hui (et depuis une vingtaine/trentaine d’années) dans notre société empreinte de soucis écologiques/environnementaux et alors même que nos villes contemporaines souffrent de multiples maux : congestion, pollution atmosphérique, étalement spatial, etc. dont la route est rendue principale responsable.
[6] Connu sous le nom de rapport JAYOT, du nom du directeur général des transports de la préfecture.
[7] Il suffit pour s’en convaincre de se remémorer les projets de certains architectes/urbanistes de ces années qui imaginent alors de véritables autoroutes (on parle alors d’autostrades) suspendues sur le toit des gratte-ciel !
[8] D’autant plus que ce sont le département et la préfecture qui financent les travaux de premier établissement, et que les travaux du SEVB (Service d’électricité, de la voie et des bâtiments), service de la STCRP chargé de la pose, du changement et de la réparation des traverses de tramway sont lourds et s’effectuent de nuit car ils nécessitent peu de circulation automobile.
[9] Les lignes aux indices suivants N.AG, N.Y, N.12, N.C, N.F, N.J, N.R, N.29, N.N, N.O, N.3, N.85, N.8, et N.96 disparaissent.
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Sources :
Ouvrages
ü BAIL (Eric), Le personnel de la STCRP dans les années 1930, Paris, 2000, Mémoire de maîtrise, Université Paris VII/Jussieu-Denis Diderot (J'y ai également résumé une riche bibliographie sur les transports parisiens). Consultable à la médiathèque de la RATP ;
ü TRICOIRE (Jean), Histoire des transports parisiens, Les cahiers de la mémoire #1, Paris, Publication de la RATP, XII/1998, 16 p. ;
ü TRICOIRE (Jean), Le bus de l’omnibus au Trans Val-de-Marne, Les cahiers de la mémoire #3, Paris, Publication de la RATP, XII/1998, 16 p. ;
ü Collectif, Le tramway, de « l’américain » au métro léger, Les cahiers de la mémoire #6, Paris, Publication de la RATP, I/1997, 12 p. ;
ü BONIFACE (Jean-Michel), JEUDY (Jean-Gabriel), Les camions de la victoire 1914-1918, Paris, Editions Massin, 1996, pp. 97-106 ;
ü LAMMING (Clive), Paris Tram, Paris, Editions Parigramme, 2003, 160 p.
Sites internet (notamment pour les clichés) : ratp.fr/100ansbus ; metro-pole.net ; amtuir.org ; navily.net
Tags : stcrp, ratp, tcrp, cgo, métro, bus
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