• Messieurs les Anglais ... élevez-vous les premiers.

    Depuis toujours, urbanistes, architectes, utopistes, personnalités diverses (des arts, de la politique, de l’industrie, etc.) réfléchissent à ce que pourrait être la ville idéale, et ce dans le monde entier. Certains en sont restés à la théorie, tandis que d’autres mettaient concrètement en pratique leurs idées, même partiellement, même perverties par la réalité, et y ont connu la gloire, ou au contraire de retentissants échecs. Pour se limiter à trois exemples majeurs par sièSuper Tower.cle pour les trois qui viennent de s’écouler, nous pouvons évoquer Claude-Nicolas LEDOUX au XVIIIe avec ses salines d’Arc et Senans, Jean-Baptiste GODIN au XIXe avec son familistère de Guise ou Lucio COSTA au XXe avec son « plan pilote » de Brasilia. Mais nous pourrions également citer quelques autres illustres penseurs de la ville, comme par exemple les Français Charles FOURIER, Victor CONSIDÉRANT ou Auguste PERRET, le Franco-suisse Charles-Edouard JEANNERET, dit Le CORBUSIER, l’Anglais Robert OWEN, l’Italien Camillo SITTE, l’Américain Frank Lloyd WRIGHT, ou le Hollandais Rem KOOLHAAS.  Et la liste est évidemment loin d’être exhaustive.

    Le XXIe en cours pourrait bien avoir déjà trouvé son porte-étendard en la matière, à travers le projet un peu fou du cabinet Popular Architecture. L’idée : ériger en plein cœur de la très dynamique capitale britannique, de gigantesques tours gruyères, les « Super Tower », de plus de 1,5 kilomètre de haut, abritSuper Tower.ant chacune près de 100 000 personnes. Ainsi, sur un espace relativement restreint (comparatif en anglais ci-contre), de véritables villes dans la ville émergeraient concentrant en un seul lieu habitat, travail et zone de commerces. Ce qui permettrait d’apporter enfin une réponse à la question des déplacements pendulaires sans cesse plus nombreux et plus longs. Tout en résolvant l’épineux problème, dont découle le précédent, de l’extension continue du périurbain qui touche la quasi-totalité des grandes aires métropolitaines du monde, et qui demeure pourtant à l’heure actuelle la seule réponse viable apportée à la croissance urbaine*[1]. Popular Architecture réinvente en somme en 2008 le concept de « villes nouvelles » qui n’a guère jusqu’à présent prouvé son efficacité*[2].

    Côté architecture et structure, ces IGH (Immeubles de grande hauteur, bien qu’il faudrait plutôt utiliser le terme de ITGH, c’est-à-direSuper Tower. d’Immeubles de très grande hauteur) seraient percés régulièrement d’énormes ouvertures, protégées ou non par des verrières, et qui accueilleraient des parcs et jardins, des espaces de loisirs comme des terrains de sport ou des théâtres, des cafés et des bars. Afin d’assurer l’autonomie énergétique du bâti et de respecter au maximum l’environnement, des éoliennes, des panneaux photovoltaïques, des zones de retraitements des eux usées et des déchets, et des récupérateurs d’eau de pluie trouveraient également toute leur place en leur sein.

    Pour donner au projet une échelle un peu plus humaine, et fonder un véritable projet de civilisation, les concepteurs ont prévu de subdiviser ces immenses tours-cités en quartiers qui seraient peuplés d’environ 30/35 000 personnes, réparties sur 500 étages. Chacune de ces communautés aurait son nom, élirait ses représentants, en bref possèderait son identité propre.

    La ville se repense et devient tour afin de répSuper Tower.ondre aux défis majeurs qu’elle pose elle-même.

    Et de fait, on ne peut s’empêcher de penser au monde de 2381 décrit par Robert SILVERBERG, célèbre auteur de science-fiction américain, dans les « Monades urbaines » (couverture de la version poche ci-contre) où les Hommes vivent désormais dans des tours de mille étages et de 3 000 mètres de haut qu’ils ne quittent jamais et qui regroupent chacune 800 000 habitants. Un groupe d’étages reçoit le nom d’une ancienne ville de la Terre, et une stratification sociale y existe, les couches sociales aisées et dirigeantes occupant les derniers étages, avant qu’une piste d’atterrissage ne couronne le bâtiment. Chaque « monade » recycle ses déchets et produit son énergie. Ce système permet de n’occuper que 10 % de la surface du globe et de laisser le reste à l’agriculture qui doit quand même nourrir plus de 75 milliards d’individus. On résout de fait du même coup les problèmes de la surpopulation, de la croissance et de l’étalement urbains, et des moyens de subsistance.

    Et si on reste ici dans un scénario de pure fiction, il en va différemment pour le projet de Popular architecture qui se veut réalisable un jour. Et de fait, de très nombreuses critiques n’ont pas manqué de surgir sur ce dernier. Premièrement, il paraît techniquement difficile, voire impossible, Super Tower.de construire de pareils édifices. La Burj Tower de Dubaï et ses probables 800 mètres de haut*[3] semblent déjà flirter avec les limites du possible côté construction. Et le projet chinois de Bionic Tower et ses 1,2/1,6 kilomètre de hauteur est resté également pour l’instant profondément enfoui dans les cartons, faute de solutions techniques disponibles. Comment ensuite assurer une bonne fluidité des déplacements dans des structures tout en verticalité. D’une part, la rue comme on l’a conçue depuis des siècles n’existera plus et il faudra donc imaginer de nouveaux espaces publics, indispensables à la vie sociale. Et d’autre part, les ascenseurs devront y être nombreux, rapides, et surtout très sûrs tout en n’occupant pas une superficie trop conséquente dans le bâtiment. Ce qui réduirait d’autant l’espace disponible pour l’habitat par exemple. Ensuite, un grand nombre de problèmes se pose du point de vue de la sécurité. Depuis les attentats du 11/IX/2001 contre les Twin Towers de New-York, la grande hauteur peut faire peur, et aucune véritable parade n’a encore été trouvée contre des terroristes déterminés, si tenté que nous les imaginions un jour. D’autant que des tours de 1,5 kilomètre de haut seraient évidemment plus vulnérables que des constructions de 400 ou 500 mètres, à moins qu’il y ait quelques innovations majeures côté matériaux. Peut-on penser enfin que laisser ouvertes les gigantesques loggias comme le prévoit le cabinet d’architecture, soit réaliste. Que celles-ci se trouvent au 20e ou au 500e étage. N’oublions pas non plus le problème que posent les incendies dans ces Super Tower.structures très hautes, même si les concepteurs ont ici proposé une solution : réserver régulièrement des étages entiers aux soldats du feu.

    On pourrait enfin soulever deux autres problèmes majeurs qui restent en suspens, dont un fait débat depuis environ un siècle. Est-ce possible de vivre en permanence dans des immeubles à la taille aussi élevée ? Peut-on se sentir à l’aise dans de telles constructions et y a t-il des conséquences sur le corps humain, sur la santé de ses habitants ? Certains le pensent, rien n’a cependant été prouvé à l’heure actuelle. Quant à l’envie d’habiter de tels édifices, il s’agit d’une « vraie-fausse » question, surtout quand on sait par exemple que les taux de rotation dans les logements du quartier des Olympiades, dans le XIIIe arrondissement de la capitale française, sont l’un des plus bas du parc géré par l’OPAC de Paris. Les habitants avouent aimer leur tour, leur quartier (pourtant sur dalle) et apprécient la vue et la luminosité que leur offre la hauteur des bâtiments.

    Reste enfin un dernier problème, d’envergure également, celui de la construction proprement dite. Outre qu’aucun matériau ne permet actuellement de l’envisager, comme nous l’évoquions précédemment, il y a le coût prohibitif d’une tour type « Super Tower » londonienne. Alors même que l’érection d’un « simple » gratte-ciel de 200, 300 ou 400 mètres de haut aujourd’hui décourage parfois déjà certains promoteurs. A quoi il faut ajouter les coûts d’entretien d’une telle bâtisse qui seront peut-être dissuasifs pendant encore longtemps. Et puis, comment rentabiliser rapidement celle-ci s’il faut attendre plusieurs années,Super Tower. voire plus d’une décennie, avant que ne commencent à arriver les premiers occupants et donc les premières rentrées financières. A cela, Popular architecture a répondu que « la tour serait construite en plusieurs étapes de vingt étages pouvant être habités une fois construit [...] La hauteur finale de 1 500 mètres n’étant que le stade final d’un programme de construction de plusieurs phases ». Idée intéressante, originale mais impossible à mettre en œuvre concrètement. Qui peut imaginer vivre avec un chantier colossal, cyclopéen, au-dessus de la tête pendant plusieurs décennies. Les nuisances sonores, visuelles, et le danger que cela représente tout simplement pour les riverains (chute de matériels, affaissement de structures, etc.) condamnent donc pour le moment le projet du cabinet londonien.

    Mais, ce travail révolutionnaire pose toutefois les bases de ce que sera peut-être la ville de demain. Et si Londres et le Royaume-Uni sont de nouveau à la pointe des réflexions dans ce domaine, Paris et la France peuvent peut-être prendre une longueur d’avance avec l’érection prochaine de la Tour Signal à la Défense qui n’est autre qu’une mini « Super Tower ».

    Eric BAIL pour èV_

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    [1] Si la moitié de la planète vit déjà en ville en 2008 (3,3 milliards d'individus sur 6/7 milliards d'Hommes). D'ici 2030, c'est plus de 80 % de la population mondiale qui vivra dans des aires urbaines, soit plus de cinq milliards de personnes. Sources : fonds des nations unies pour la population ; unfpa.org

    [2] Les villes nouvelles franciliennes (Cergy-Pontoise, Marne-la-Vallée ou Melun-Sénart) datant des années 1960 avaient comme principal objectif, mais non le seul, de rapprocher domicile et travail. Selon des conclusions récentes de chercheurs, "le taux moyen d'emploi dans ces villes nouvelles par rapport à la population active résidente est le même que celui de la région Ile-de-France, soit 93 %". Source : delouvrier.org

    [3] Longtemps, sa hauteur est restée secrète. Il semble qu’elle soit enfin fixée définitivement à 815 m. (avec antenne).

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    Source et crédits photos : populararchitecture.com.

    Nouvelle version en date du vendredi 11/VI/2010.


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