• Marions-nous dans le XIIIème !

    Au XIXe siècle, lorsque la capitale française ne comptait encore que douze arrondissements, l’expression « se marier à la mairie du XIIIe » était très populaire dans tout Paris. On l’employait en général ironiquement afin de désigner un couple qui vivait hors des conventions admises à l’époque, c’est-à-dire tout simplement en concubinage. L’annexion à Paris des communes limitrophes en 1860 par l’administration impériale*[1] a tôParis Rive-Gauchet fait de la faire disparaître du langage courant. Et aujourd’hui, quiconque le désire peut littéralement et sans difficulté aucune se marier dans le XIIIe arrondissement.

    Pourtant, une question surgit lorsque l’on s’y promène aujourd’hui : qui pourrait avoir envie d’un tel décor pour le jour de son mariage ? Je ne parle pas de l’ancien « nouveau XIIIe » centré autour de la Place d’Italie et du quartier des Olympiades, mais bien de celui qui a émergé, sur dalle et en dix petites années, entre la gare d’Austerlitz et le quai d’Ivry. Sur un espace qui avait de toute évidence d’indéniables potentialités*[2], se succède désormais toute une série de petits immeubles au style très contemporain (du verre et de la transparence à peu près partout) mais qu’il est bien difficile de distinguer les uns des autres (photo ci-dessus). Ce qui confère aux rues, très nombreuses et qui du même coup morcellent énormément le paysage, une banalité affligeante qui rend presque impossible toute orientation. Finalement, la seule envie du visiteur de passage lorsqu’il se trouve au cœur de ce nouveau quartier, créé ex-nihilo, c’est d’en sortir le plus vite possible*[3]. Seules les tours-livres de la BNF François-Mitterrand attirent le regard et permettent d’éviter un assoupissement assuré. Si un seul mot devait d’ailleurs servir à qualifier une déambulation sur l’avenue de France, principale artère de ce nouvel espace, c’estAvenue de France bien l’ennui que tous utiliseraient. On en regretterait presque l’urbanisme du baron Haussmann, c’est dire ! De toute évidence, les détracteurs de la ligne droite en milieu urbain ont trouvé ici leur plus solide argument (photo ci-contre).

    Evidemment, cela ne pourra pas être pire que ce qui s’y trouvaient il y a encore une dizaine ou une quinzaine d’années, à savoir pour l’essentiel des voies ferrées ou des entrepôts de la SNCF qui sont maintenant bien cachés des regards sous plusieurs mètres de béton (cela dit, si vous poussez jusqu'au bout de l'avenue de France qui se termine encore en cul-de-sac, vous pourrez en avoir un aperçu). Et puis, le quartier n’a pas encore pris sa configuration définitive puisqu’une grande partie reste à aménager (entre la Gare RER et le périph’), et que le campus de Jussieu devrait avec son implantation autour des anciens Grands Moulins de Paris dynamiser un peu l’espace. N’omettons pas également de signaler que le projet urbanistique d’îlot ouvert conçu par Christian de PORTZAMPARC*[4] pour le secteur a fait naître quelques joyaux, telle la rue Hélène Brion avec une succession délicieuse d’architectures, à l’image de l’immeuble des architectes Aldric BECKMANN et Françoise N’THÉPÉ (c.f photo ci-dessous).

    Espérons donc que les futurs aménagements du quarrue Hélène Briontier incitent le visiteur à rester plus longuement et à découvrir ce qui pourrait en faire la beauté. Car, pour nous qui traversons simplement cet espace, son atmosphère est juste dérangeante temporairement, mais pour ses habitants, la situation est bien différente. Si l’on en croit d’ailleurs la banderole déroulée sur les frigos (association des occupants des frigos), de nombreux riverains semblent s’en inquiéter au plus haut point et tentent d’en conserver l’âme*[5].

    Eric BAIL pour èV_

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    [1] C'est par le décret du 16/II/1859 que fut décidée l'annexion à Paris de onze nouvelles communes limitrophes au 01er/I/1860, portant le nombre d'arrondissements à vingt. Chiffre qui n'a pas varié depuis.

    [2] Le quartier Paris-Rive Gauche/Masséna, outre sa très belle vue sur le fleuve, bénéficie d’espaces verts conséquents (le parc de Bercy surtout, mais aussi le jardin des Plantes), et de grands équipements sportifs et/ou culturels (le POPB [Palais omnisport de Paris-Bercy], la BNF François-Mitterrand, la cinémathèque française, la piscine Joséphine Baker sur la Seine, la future cité de la mode et du design, etc.). Et s’il peut apparaître de prime abord excentré, c’est sans compter sur la présence de voies rapides et du périphérique tout proche qui le relient très bien au reste de la capitale, et sur les transports en commun très nombreux (métro 5, 6, 14 ; RER C et deux gares de dimension nationale ; à quoi il faut désormais ajouter la navette fluviale Voguéo).

    [3] De toute façon, on ne voit pas bien ce qu’il viendrait y faire à part travailler (tant les bureaux y sont nombreux) ou profiter des quelques grandes enseignes que l’on trouve du reste dans d’autres quartiers parisiens plus centraux (ciné MK2, magasin sportif Décat[…], librairie Gib[...], etc.).

    [4] Théorie qui prône « l’ouverture, la couleur, l’éclatement des références, des styles et remet en cause l’idéal de régularité et d’ordonnance ». Citation de Christian de Portzamparc in « Accords chromatiques – Histoires des architectures parisiennes en couleurs 1200-2010 », Editions du Pavillon, Paris, 2008, p.204.

    [5] On peut lire sur celle-ci : « Sur le terrain mitoyen, encore des bureaux. Concertation tronquée, gâchis économique. Où va la ville ? Que font les élus ».

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    Vidéo du Pavillon de l’Arsenal sur un des édifices phares du nouveau quartier, l’école d’architecture Val-de-Seine :

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    Photographies personnelles prises dans le secteur Masséna les lundi 21 et mercredi 23/VII/2008.

    Première version publiée sur PériphériK le 22/VII/2008 ; remise à jour en date du jeudi 10/VI/2010.


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