• Le mur murant n'est plus, mais la rotonde murmure toujours.

    Les propylées de Ledoux.

    C'est une décision peu populaire de la Ferme générale*[1] qui nous permet aujourd’hui encore, plus de deux siècles après son érection, d’admirer l’un des plus beaux et des plus discrets bâtimentRotonde de la Villette.s du nord-est parisien : la rotonde du bassin de la Villette de l’architecte français d’origine champenoise Claude -Nicolas LEDOUX (1736-1806).

    C’est précisément en 1785 que la compagnie de financiers parisiens, désireuse de bannir la fraude sur les droits d’entrée des marchandises dans la capitale, décide la construction d’une nouvelle enceinte longue de plus de vingt kilomètres tout autour de la ville. Afin de permettre les contrôles, ce mur fiscal devait comprendre à terme une soixantaine d’ouvertures, les barrières ou octrois, de taille variable*[2]. C’est l’architecte Claude-Nicolas LEDOUX, dont la renommée est alors très grande après la construction de la saline royale d’Arc et Senans dans le département du Doubs, qui est chargé des travaux. Ceux-ci débutent en 1785 et s’achèvent à la veille de la révolution française, en 1788.

    Pour ses constructions, LEDOUX opte délibérément pour un classicisme rigoureux, à la limite du caricatural, inspiré de l’architecture de l'Antiquité gréco-romaine ou de la Renaissance italienne, notamment celle de Andrea PALLADIO (1508-1580). Colonnes, frontons, arcs et arcades, géométrisation à l’extrême deviennent alors les principales caractéristiques des entrées de Paris. Il dote ensuite ses pavillons d’octroi d’un caractère résolument monumental, et avec un certain goût pour la provocation, les nomme propylées*[3]. Or, ce n’est pas du goût de tous ses contemporains qui voient, eux, avec ce choix d’une architecture pompeuse, la volonté de la Ferme générale d’affirmer clairement dans le paysage parisien sa toute puissance. L’enceinte devient dès lors un « monument d’esclavage et de despotisme » aux yeux des Parisiens. Et finalement, l’architecte lui-même est fortement contesté, sa personne attaquée publiquement et le coût de ses choix souligné. On finit par railler « ces antres du fisc métamorphosés en palais à colonnes » de ce « terrible architecte »*[4].

    Cette perception explique sans doute la rapidité avec laquelle les révolutionnaires s’attaquent à l’enceinte en VII/1789 et incendient ses portes-propylées symboles d’oppression. Avant que leur architecte ne finisse lui-même en prison.  Et si l’octroi subsiste quelque temps encore, en 1860, lors de l’annexion des communes suburbaines à Paris, la quasi-totalité des œuvres restantes de LEDOUX située sur l’ancienne enceinte fiscale est détruite. Ne subsistent alors que quatre bâtiments qui se retrouvent dès lors bien seuls dans leur environnement immédiat et n’ont plus grand chose de monumental, excepté peut-être celui qui se situe à proximité de la place de la Nation. Ce sont eux qui nous sont parvenus. Il s’agit du nord au sud et d’est en ouest, de la rotonde du bassin de la Villette (place de la bataille de Stalingrad), de la barrière du Trône (entre la place de la NatioRotonde de la Villette.n et la porte de Vincennes), de la barrière d’Enfer (place Denfert-Rochereau, reconvertie depuis en partie en entrée des catacombes), et de la porte de Chartres (à l’entrée du parc Monceau).

    La petite histoire de la rotonde.

    Pour celle qui nous intéresse ici, c’est-à-dire la rotonde de la Villette, les travaux s’échelonnent de 1784 à 1787. Elle appartient alors à la barrière de Pantin, également appelée barrière St-Martin ou barrière de Senlis.

    Son histoire, avec la place du rond point de la Villette (devenue place de la bataille de Stalingrad) est jalonnée de faits marquants. De la fuite du roi Louis XVI et de sa famille à Varennes en 1791, au retour de la Garde Impériale après la campagne de Prusse, en 1807, à l’armistice de 1814 signé à proximité, en passant par l’entrée à Paris du roi Louis XVIII. Pourtant, comme bon nombre d’autres points de passage du mur fiscal, désormais inutile après l’annexion décidée par l’empereur et son préfet en 1860, tout a bien manqué de s’arrêter brusquement pour elle. On songe effectivement dans un premier temps à la démolir, faute d’usage. Toutefois, elle est très vite reconvertie en entrepôt à sel à partir de 1865, avant d’être louée à la Compagnie des entrepôts et magasins généraux de Paris.

    Ce qui, pour beaucoup, est à l’origine d’une dénaturation certaine du lieu. Car, davantage préoccupée de commerce que d’esthétique, cette dernière prend la funeste décision d’autoriser la compagnie du métropolitain à construire le viaduc aérien qui masque aujourd’hui encore complètement une de ses façades. Même si pour d’autres, dont je suis, cette reprise de l’ancien tracé de l’enceinte des Fermiers généraux par le métro confère au site un charme particulier mêlant passé et présent, nous y reviendrons. En tout cas, en 1907, la rotonde de la Villette est classée monument historique, avant qu’une restauration à la fin des années 1980 ne lui fasse retrouver l’un de ses portiques disparus.

    Aujourd’hui, elle accueille la commission du vieux Paris, son centre de documentation, ainsi qu’un laboratoire d’analyse et de restauration de pièces archéologiques, mais de nombreux autres projets sont en cours et visent à en faire un lieu de culture doté d’un restaurant (sic).

    La rotonde de la Villette, son architecture, son environnement.

    L’architecture de la rotonde de LEDOUX est directement inspirée de la Villa Rotonda de PALLADIO et étonne encore aujourd’hui, et ce même si l’on garde en mémoire les raisons qui ont poussé à son érection.

    Elle présente ainsi plusieurs entrées et sRotonde de la Villette.e distingue par sa géométrisation excessive, presque grossière. Une base carrée qui accueille quatre frontons triangulaires soutenus par des colonnes doriques massives tout autant qu’épurées marquant les quatre entrées du bâtiment. Aucune décoration ne vient couronner ces dernières, bien qu’un projet à l’origine prévoyait le contraire (temps et argent ont fait défaut). Ce rez-de-chaussée soutient le cylindre, cœur et corps du bâtiment, percé lui aussi et qui accueille derechef de somptueuses colonnes, doublées, mais qui conservent ici aussi leur simplicité. C’est de cette confrontation toute géométrique des volumes que viennent force et beauté de l’édifice. Carré, triangles et cylindre cherchent à s’imposer aux autres formes sans y parvenir. Le regard ne les comprend en effet qu’en les englobant. Et d’ailleurs, cette confrontation se retrouve dans les colonnes qui jalonnent le monument. Elles sont parallélépipédiques à la base pour soutenir les frontons d’entrées, mais toutes en rondeur et doubles dans la partie haute. L’œil est sollicité partout et ne se fixe nulle part. Voilà la force de l’architecture de LEDOUX ici.

    On aurait pu croire qu’aujourd’hui, seule dans soRotonde de la Villette.n environnement, dégagée de son mur d’assise et de ses fonctions d’origine, la rotonde parvienne difficilement à se fondre dans le paysage du quartier. C’est tout le contraire qui se produit, et mieux que cela, elle y prend merveilleusement place et se fait décor de théâtre. D’une part, Elle se fond idéalement dans la perspective qui s’ouvre avec elle, se prolonge au-delà du bassin et des deux pavillons des anciens magasins généraux désormais restaurés et de nouveau utilisés, et qui prend fin avec le parc de la Villette. Mais surtout, d’autre part, elle se marie parfaitement avec le viaduc tout proche du mRotonde de la Villette.étropolitain (de la ligne M2) qui reprend comme on l’a évoqué plus haut sommairement le tracé de l’ancienne enceinte fiscale, et qui paraît la traverser de part en part. Tout en lui donnant l’occasion (et même si ce n’est qu’une illusion) de reprendre pour de bon son rôle d’antan de poste de guet sur une barrière hermétique.

    Dans un Paris qui tente de préserver, à tout prix, les traces de son histoire, la rotonde de la Villette apparaît bien comme l’un des repères de ce passé. Repère d’autant plus précieux que ne subsistent que trois autres témoignages de la défunte, mais non regrettée celle-là, enceinte des fermiers généraux.

    Eric BAIL pour èV_

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    [1] Sous l’Ancien régime, le recouvrement de divers taxes et impôts se fait directement par des personnes privées à qui le pouvoir royal concède ce droit. Celles-ci versent alors une somme forfaitaire au Trésor avant de recouvrer les sommes pour leur propre compte, c’est le système de l’adjudication, ou bien elles décident d’encaisser pour l’Etat monarchique avant que celui-ci ne les rétribue, c’est la régie. Ce système des régies et des fermes est réformé à de nombreuses reprises, notamment sous NECKER, en 1780. A partir de cette date, trois compagnies fermières se répartissent alors les impositions indirectes : la Ferme générale est l'une d'elles, elle obtient le recouvrement des droits de douane. Elle employa jusqu'à 700 personnes à Paris.

    [2] Certaines de ses portes étaient larges afin de s’adapter au trafic important et en constante augmentation, tandis que d’autres demeuraient plus étroites et ne servaient que pour le passage de piétons ou d’animaux de selles.

    [3] Les propylées symbolisent la monumentalité car dans l’Athènes antique, c’est ainsi que l’on nommait l’entrée monumentale de l’Acropole. Il s’agit en fait d’un vestibule situé à l’entrée du sanctuaire.

    [4] Louis-Sébastien MERCIER (1740-1814), grand écrivain français de l’époque, in « les Tableaux de Paris » (1788).

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    Sources : Collectif, « Paris le long des rues : le XIXe arrondissement », La documentation française, Paris, 1998 ; arte.tv.fr ; finances.gouv.fr ; mairie19.paris.fr (cartographie).

    Photos personnelles prises au bassin de la Villette le lundi 21/VII/2008.

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    Le titre de l’article fait référence au célèbre alexandrin critique à l'égard de l'enceinte des Fermiers généraux, dernière grande réalisation de LEDOUX : « Le mur murant Paris, rend Paris murmurant ».

    Première version publiée sur PériphériK le 30/VII/2008 ; remise à jour en date du jeudi 10/VI/2010.


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