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Signal signée NOUVEL.
Les années se suivent et ne se ressemblent pas. C’est effectivement ce que doit se dire l’architecte français Jean NOUVEL. En effet, 2007 restera, pour lui, marquée p
ar deux échecs majeurs à Paris. D’abord, son projet pour les Halles non retenu alors qu’il était pourtant bien plus ambitieux que la proposition concurrente de MANGIN*[1]. Puis, son « Objet expérimental » pour la Tour Phare, déjà à la Défense, retoqué par le jury qui lui préféra « l’émergence hybride » de l’Américain Thom MAYNE*[2], peut-être plus consensuelle. L’année 2008 est, en revanche, tout autre. En janvier, Jean NOUVEL recevait le plus célèbre des prix d’architecture, le prix Pritzker, qui n’avait jusqu’à présent consacré qu’un seul de ses confrères et compatriotes, non moins célèbres, Christian de PORTZAMPARC. Mais, un bonheur n’arrivant jamais seul, Patrick DEVEDJIAN, président de l’EPAD*[3] vient d’annoncer, qu’au terme d’âpres discussions, le jury composé de représentants de collectivités locales, de l’Etat, ainsi que de diverses personnalités (dont il est vrai peu d’architectes), l
’avait désigné lauréat pour la construction de la future tour Signal de La Défense*[4].
Après l’Institut du monde arabe (1981/7), la fondation Cartier (1994) et plus récemment le musée du Quai Branly, en 2006, décrié mais dont le succès auprès du public ne se dément pas, une nouvelle réalisation forte signée Nouvel devrait donc voir le jour à Paris d’ici 2015.
La tour du renouveau ?
Forte ! Telle est bien le mot à utiliser lorsque l’on jette un œil au projet que nous ont concocté les Ateliers Jean Nouvel (AJN). Déjà, de par sa masse imposante, un parallélépipède de 301 mètres de haut et de 140 000 m² au total*[5], et de par ses particularités (cubes colorés, façades aux mailles variables) qui attireront les regards comme un aimant, elle permet le rééquilibrage du skyline de La Défense. Et si telle n’est pas sa singularité, les autres projets en compétition y parvenaient également, elle le réalise to
utefois à merveille et sans doute beaucoup mieux que les autres. D’autant que ces cubes creusés contrebalancent merveilleusement le vide de la Grande Arche dans une composition qui frôle le lyrisme.
Mais surtout, elle apparaît comme un geste architectural atypique dans le paysage du quartier d’affaires. Certes, le bâtiment ne rompt pas fondamentalement avec la forme classique des tours de très grande hauteur (IGH, pour immeubles) qui demeurent, malgré l’originalité architecturale dont elles peuvent faire preuve, monolithiques et consacrées à des bureaux (le plus souvent), des logements (de haut standing généralement) et/ou des centres commerciaux. Elle innove en revanche car chacune de ses quatre composantes cubiques*[6] est évidée afin d’y loger places publiques, jardins ou encore terrasses de cafés et de restaurants. Ces loggias colorées, pour le moment de bleu, de blanc, de rouge et de vert, seront protégées par d’énormes protections vitrées coulissantes autorisant les ventilations salvatrices et la pénétration des rayons du soleil. Il faudra voir si à la pratique, ces lieux ne se transforment pas en vastes caisses de résonance, difficilement vivables au quotidien, comme le sont souvent les espaces clos ou semi-clos à l’image des passages, la Galleria Umberto Ier à Naples en est un célèbre exemple, ou des phalanstères, comme le familistère de Guise.
En attendant, on assiste peut-être là aux prémices d’un urbanisme tout en hauteur comme l’a imaginé le cabinet Popular Architecture pour le Londres des années 2020 (je vous en parlais ici – à venir). La tour Signal pourrait alors révolutionner*[7] la conception des futurs gratte-ciel du monde et redonner à
Paris et sa région la place qu’ils méritent dans ce débat au moment même où la tour en tant que concept apparaît comme tabou en intra-muros et dans le langage des décideurs politiques locaux. D'ailleurs, preuve de cette frilosité, la député-maire UMP de Puteaux, Mme Joëlle CECCALDI-RAYNAUD, commune sur laquelle la tour Signal sera implantée, a immédiatement réagi après l’annonce du 27 mai dernier*[8] en brandissant l’arme du POS (Plan d’occupation des sols) dont la modification est le préalable indispensable à son érection, menaçant du même coût de faire échouer le projet. Ce qui serait, quelque soit la pertinence de ses griefs*[9], absurde puisqu’il s’agit de la décision d’un jury représentant la collectivité, mais surtout dommageable à l’architecture parisienne qui a déjà subi avec la « non-décision » pour les Halles un rude coup ces derniers temps*[10].
Eric BAIL pour èV_
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[1] Ce projet bien que lauréat ne verra jamais le jour puisqu’un autre concours concernant le carreau lui-même a été lancé par la mairie de Paris (remporté depuis par BERGER et ANZIUTTI). En somme, le seul geste architectural que MANGIN proposait n’a pas été conservé dans la version définitive. A voir le documentaire de Frédéric BIAMONTI, « Le destin des Halles », durée 52 minutes, production France 5/AMP, 2004.
[2] La Tour Phare signée NOUVEL, affublée d’un gigantesque écran rotatif à son sommet, a sans doute effrayé les plus conservateurs. Elle incarnait pourtant à merveille l’idée à l’origine du projet, celle d’un phare illuminant le renouveau du premier quartier d’affaires d’Europe.
[3] Etablissement public pour l’aménagement de la Défense, organisme public chargé de coordonner les projets d’urbanisme dans le quartier de la Défense (plusieurs communes concernées dont Puteaux et Nanterre).
[4] Dix-huit projets avaient été initialement retenus avant que cinq finalistes ne soient désignés en III/2007 : Ateliers Jean Nouvel ; Foster + Partners Ltd ; Jacques Ferrier Architectures ; Studio Libeskind Architect ; Wilmotte et Associées.
[5] Pour un coût global estimé pour le moment à plus de 600 millions d’euros.
[6] Cubes qui accueilleront approximativement chacune une fonction : centre commercial, restaurants, équipements publics au rez-de-chaussée (10 000 m²) ; bureaux (50 000 m²) au second ; un hôtel de 40 000 m² et de plus de trois cents chambres au troisième ; enfin, au sommet, des appartements (33 000 m²).
[7] Au sens corbuséen du terme « On ne révolutionne pas en révolutionnant, on révolutionne en solutionnant » in Urbanisme, 1924.
[8] Utilisant les mots de « donjon » et de « monolithe qui écrase tout » pour qualifier la tour de Nouvel, parlant même de « retour au Moyen-âge » (sic).
[9] Elle a par exemple évoqué, très justement, le manque de mixité sociale du projet.
[10] L’architecte a tenté de désamorcer ce début de crise en affirmant « que sa copie n’est pas définitivement écrite » et en promettant « d’expliquer [à Mme Ceccaldi-Raynaud ndlr] en quoi ce projet est optimiste et humaniste (sic) ».
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Source photos : tour-signal-ladefense.com
Version publiée initialement sur PériphériK le 06/VI/2008 ; remise à jour le lundi 07/VI/2010, et que vous pouvez compléter avec l’article « AJN/La Défense : nouvel acte manqué ? »
Tags : tour signal jean nouvel la défense
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