• Les états d'âme d'un bus pékinois.

             Alors voilà, c’est fait… enfin presque ! Toutes ces années à avaler avec modestie ces dizaines de milliers de kilomètres d’asphalte brûlante, toutes ces années à supporter sans broncher ces milliards de voyageurs grincheux et irrespectueux, toutes ces années à lutter avec âpreté avec plusieurs centaines de mes semblables dans des rues toujours trop étroites, toutes ces années à respirer dans ces interminables embouteillages cette pollution persistante n’y auront donc rien changé. Ils envisagent de me mettre au placard dans un avenir proche et de me remplacer par … de drôles de plate-formes semi-aériennes sur rails qu’ils ont eu l’audace d’appeler « bus volants » !
    Un comble pour moi et les miens qui bus volant.avions si brillamment et si rapidement réussi à évincer de la plupart des grandes cités du monde « moderne » ces véritables fossiles ferrés qu’étaient les tramways. Nous qui disposions alors sur ces vestiges du passé d’une nette supériorité technique (on ne disait pas encore technologique), d’une plus grande flexibilité et fiabilité, et, argument ultime, d’une meilleure rentabilité. Et c’est sans regrets que nous les avions vu partir à la casse, et sans retenue que nous nous moquions des copains, notamment San-Franciscains, qui n’avaient pas réussi à les chasser de leur terre.
    Nous aurions pourtant dû avoir le triomphe plus modeste, et se douter que cette conjoncture favorable ne pourrait se prolonger ad vitam æternam. Car après cet âge d’or pendant lequel presque rien, ni personne n’arrêta l’adaptation des villes à nos seuls besoins, des voix commencèrent à s’élever ici et là pour contester notre hégémonie et remettre en cause notre supériorité naturelle sur les autres modes de transports urbains.
    Néanmoins, du haut de notre domination, rien ne semblait pouvoir nous ébranler. Et c’est sans inquiétude et même avec un certain dédain teinté d’ironisme, que nous accueillirent le retour des trams à nos côtés en ville à partir de la fin du siècle dernier. C’était sans voir que le contexte avait bel et bien changé et que le fossé, notamment d’un point de vue technique et économique, qui nous séparait autrefois de ces derniers s’était largement comblé. Si bien qu’en très peu de temps, on nous rendit responsable de tous les maux de la société urbaine : pollution, congestion, étalement spatial, etc. Situation qui poussa certains d’entre-nous à se travestir pour survivre en ville, les copain(e)s « trans » de Nancy en savent quelque chose*[1].
    Alors, c’est vrai, notre pitance coûte et coûtera de plus en plus cher dans les décennies à venir, réduisant d’autant notre rentabilité. C’est vrai, notre flexibilité légendaire s’est amoindrie d’année en année avec l’affectation de la plupart d’entre-nous à un trajet défini. C’est vrai aussi que l’augmentation exponentielle du trafic automobile dans les grandes villes du monde nous a réduit à des performances dont ne rêvent peut-être que ces machines à deux roues qui ont, elles aussi, fait leur réapparition à nos côtés en ville. Et avec qui il est même bien difficile de cohabiter d’ailleurs. C’est vrai enfin que nos qualités techniques ne sont plus aussi déterminantes dans le match qui nous oppose désormais aux trams tant ces derniers se sont modernisés. Ils ont même réussi un joli tour de passe-passe puisque les opinions publiques mondiales, et surtout leurs dirigeants, les considèrent désormais comme la réponse la mieux adaptée au défi écologique qui se dessine [sic].
    Je me disais néanmoins que depuis sa conversion à l’Boulevard Place Tien An Menutra-libéralisme, ma bonne vieille ville de Pékin m’avait offert sur un plateau un radieux avenir routier. Imaginez les amis ! Sept périphériques de deux fois quatre voies et des artères ouvertes à l’hausmanienne dans de vieux îlots et représentant de véritables autoroutes urbaines. Un véritable paradis terrestre !
    Ce qui n’a fait qu’amplifier le choc lorsque j’ai appris, il y a quelques semaines, ce projet un peu fou mais non moins sérieux de bus à roulettes. Mon huile n’a alors fait qu’un tour. Même si, je dois le reconnaître, l’idée est intéressante. Je suis même contraint d’avouer qu’ils ont une certaine élégance ces mastodontes du futur. Haut perchés (près de cinq mètres) et au design soigné (large baies vitrées, lignes épurées, etc.), ils glissent gracieusement au-dessus de la cohue automobile et de tous ses problèmes. Tandis que nous nous faufilons, nous, pendant ce temps là si péniblement au sein d’un trafic de plus en plus anarchique. D’ailleurs, c’est même cet affranchissement de la chaussée et de la circulation lambda qui représente leur principal atout. En effet, sans emprise au sol, et en laissant passer ainsi sous leurs cabines les autres véhicules automobiles, ils pourraienbus volant.t selon l’instigateur du projet, M Song YOUZHOU [Pdg de Shenzhen Haschi Future Parking Equipment], qui n’est pas avare de chiffres, réduire de 20 à 30 % les embouteillages à Pékin. Je demande à voir. Sachant que ma ville compte déjà plus de cinq millions de voitures, chiffres en hausse chaque année, il est peu probable que quelques lignes de « bus volants », dans un premier temps six kilomètres puis cent quatre-vingt peut-être d’ici un an, viennent résoudre comme par magie tous les maux urbains liés au tout-auto. Certes, ces usurpateurs sur pattes transporteront également davantage de passagers que mes semblables et moi-même : jusqu’à 1 400 contre une centaine pour les meilleurs d’entre-nous. Et, ils pollueront moins que nous autres avec leurs panneaux photovoltaïques embarqués et leur propulsion électrique. Quant à leur vitesse de croisière, elle atteindra des sommets en comparaison des nôtres, de 40 à 60 km/h.
    Mais, qui peut croire que la cohabitation de ces plate-formes avec tous les autres usagers de la route se fera sans encombre ? Même si M. YOUZHOU évoque une signalisation spécifique, et des avertisseurs sonores pour prévenir tout danger de collision. Et quid de leur coût ! Après tout, s’ils resteront en-deçà des prix affichés par leurs cousins souterrains en raison surtout du peu d’aménagement qu’ils nécessitent, ils demeureront tout de même nettement plus chers que nous au kilomètre : entre 12 et 15 millions de ¥. Et que dire des infrastructures à édifier, notamment les fameuses stations sur pilotis, qui elles requièrent espace et lourds aménagements. Enfin, rien n’est encore construit. Et si plusieurs constructeurs automobiles chinois ont répondu favorablement à l’appel, de grands défis techniques et technologiques ne manqueront pas de surgir face à un tel projet. Et les retards, échecs, tâtonnements auront peut-être raison d’eux avant la généralisation du concept. Après tout, un précédent existe : le Maglev de Shanghai. Un véritable succès technologique, mais un retentissant échec commercial…
    D’ici là, je m’en remets à notre saint patron pour qu’il nous protège, Saint Georges [du nom d’un ami inconditionnel de la machine et du moteur du siècle dernier, un ancien président de France je crois…]
    Eric BAIL pour èV_
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    Vidéo de présentation (BFM) du projet :

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    [1] Je fais bien sûr référence ici au fameux tramway hybride de Nancy qui peut soit rouler sur rails, soit s’en affranchir et se faire bus. Lire à ce sujet : L’histoire mouvementée du tramway de Nancy, dossier réalisé par M. MARCHAL, consultable à cette adresse.
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    Sources : afp.com ; photos sur google images et photographie personnelle (place Tien An Men) prise le lundi 26 juillet 2010.


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