• Les Maréchaux re-passent à l'offensive.

    À l’évidence, il y a des dates qui ne s’oublient pas. Concernant les transports publics collectifs de surface à Paris, les 15/III/1937 et 16/XII/2006 sont de celles-là. À la première, le tramRetour tram à Paris.way faisait ses adieux, que l’on pensait bien définitifs, à la capitale après plusieurs décennies de bons et loyaux services*[1], victime de la pression de certains lobbies, notamment automobile et pétrolier(s). À la seconde, près de soixante-dix ans plus tard, il faisait fièrement sa réapparition sur les boulevards des Maréchaux, dans le sud de Paris.

    Entre-temps, le bus assura seul, en surface, la lourde charge de transporter les Parisiens et Franciliens dans la capitale. Affichant des avantages, entre autres flexibilité, coût, fiabilité, confort, qu’il pensait bien être le seul à posséder pour toujours

    Avantage tramway ?

    Mais voilà, le tramway « nouvelle génération » a amorcé sa renaissance dans les années 1980/1990 et a fini par reconquérir les parts perdues si rapidement. Car, les avantages décisifs que pouvait présenter le bus sur le tram se sont évaporés presque entièrement.

    Premièrement, on l’a longtemps dit plus flexible. Or, un bus affecté à une ligne a fort peu de chances de se retrouver le lendemain sur une autre*[2]. Quant aux parcours que l’on qualifiait autrefois de trop rigides du fait d’un tram coincé dans ses rails, ils n’ont guère varié depuis le triomphe du « tout auto ». Personne ne s’y retrouverait du reste si ces derniers changeaient d’un mois ou d’une année sur l’autre*[3]. Certes, un bus se détourne toujours plus facilement de son itinéraire qu’un tramway lorsque, par exemple, des manifestations croisent son trajet. Mais, les grands mouvements sociaux qui prévalaient encore dans les années 1930, et qui ont pu gêner fortement les engins de l’époque et leur portèrent indéniablement préjudice, ne sont plus d’actualité, ou à une autre échelle.

    Sur la fiabilité et le confort, l’avantage que possédait ici aussi le bus sur le tram dans les années 1930 ne joue guère plus aujourd’hui. On prétextait ainsi jadis, non sans raison, que le passage sur pneumatique des bus avait permis d’améliorer la stabilité et le confort au sein des voitures par rapport à des tram dans lesquelles les passagers se faisaient ballotter incessamment. Mais, en 2008, le « citadis » d’Alstom (rame ci-dessous, porte d'Ivry) qui équipeTram Porte d'Ivry la nouvelle ligne T3, pour ne citer qu’elle, n’a plus grand chose à voir avec les antiques matériels siglés STCRP. Et il est même nettement plus agréable de prendre place dans une rame citadis que dans un bus agora, forcément plus confiné, moins lumineux, offrant moins de places assises, et dans lequel on est chahuté du fait des nombreux arrêts dus à la circulation automobile, à la voirie ou autres. Personne ne regrette aujourd’hui le PC1 sur le tronçon du T3.

    Reste la fiabilité du bus par rapport au tramway. Une fois encore, le temps a joué en faveur du second. L’irrégularité du premier au sein d’une circulation automobile qui n’a cessé de croître depuis soixante-dix ans pose d’indissolubles problèmes de régulation aux agents de la RATP et explique les délais d’attente parfois insupportables. Et les matériels tram autrefois si fragiles (décrochage des tiges, pannes régulières) n’ont plus rien à envier aux bus sur ce plan.

    Avantage tramway donc.

    Et si on met dans la balance, les questions environnementales et énergétiques, le triomphe du tram se fait alors carrément arrogant. L’essence coûtera de plus en plus chère et à moins de solutions de substitution d’envergure, peu probable à court terme*[4], le tramway marchant à l’électricité, pour le moment plus abordable, gagnera à coup sûr la partie. Surtout que la pollution extrême dans les villes jouera également en défaveur du bus. L’ère du « tout auto » étant désormais bien révolue. Si on ajoute enfin que le retour du tram en ville permet d’importantes requalifications urStation tramway porte de Gentillybaines, bénéfiques pour la vie des habitants, et à la communication des hommes politiques, alors le bus comme on le connaît aujourd'hui devrait avoir de sombres années devant lui.

    À moins que la relève BHNS ou Bus à haut niveau de services, c’est-à-dire du matériel ultra-moderne (écrans digitaux, climatisation, silencieux, électrique, articulé, etc.) et en site propre (comme le TVM ou Trans-Val-de-Marne) ne lui apporte une seconde jeunesse. Et à moins aussi que les tares traditionnelles que possède le tramway, et qui seront à l’avenir difficile à gommer ou à atténuer, ne viennent handicaper ce renouveau : rigidité due aux rails, coûts de construction et d’entretien, infrastructures imposantes, notamment aux terminus, bouleversement de la chaussée, place occupée sur cette dernière, etc.

    Même si pour le moment, son ascension semble irrésistible à l’étranger, en province comme à Paris. Et le succès du T3 est là pour le prouver, lui qui a désormais entamer son extension vers l’Est et le Nord de la capitale, à peine trois/quatre ans après son lancement.

    À l’Est, du nouveau.

    Car effectivement, qui aurait pu imaginer en XII/2006 que le tram aurait si vite (re)conquis le cœur des Parisiens. A tel point que son expansion vers l’est de la capitale, seulement envisagée il y a quelques années, est rapidement devenue une évidence. On en vient même à parler d’une extension bien au-delà de la porte de La Chapelle. Même si l’ouest parisien demeurera sans doute encore, dans ce domaine, un point noir comme il le fut d’ailleurs autrefois, pour à peu prèsCarte extension. des raisons similaires.

    T3 devrait donc continuer rapidement sa course au-delà de son terminus Porte d’Ivry, et ce avec le même matériel puisque des tranches optionnelles avaient déjà été passées avec le constructeur Alstom il y cinq ans, et en conservant la même infrastructure (de stations notamment). Ce qui assurera une certaine cohérence au réseau tram, comme du reste la RATP a déjà su le faire pour les réseaux métro ou bus*[5]. Toutefois, pour ne pas renouer avec le temps où les « PC/bus » faisaient en une seule boucle le tour de Paris*[6], ce qui complexifiait son image auprès du public, la ligne sera probablement scindée en plusieurs tronçons qui acquerraient dès lors leur identité propre : T5, T6, etc. La dénomination T4 ayant déjà été attribuée au tram-train qui circule depuis deux ans entre Aulnay-sous-Bois et Bondy dans le département de la Seine-Saint-Denis*[7].Intérieur d'une rame citadis

    Côté tracé, si on sait déjà ce qui ne se fera pas, il reste encore quelques détails à préciser sur ce qui devrait se faire. Ce qui est écarté, et qui l’a même été depuis l’origine du projet, au grand dam de certains, c’est la réutilisation du chemin de fer de ceinture. Option qui avait été en son temps également mise de côté pour l’actuelle ligne T3. Sans paraître totalement naïf sur cette question, car il est évident que des raisons politiques sous-jacentes l’expliquent*[8], ce choix peut laisser perplexe. Comment justifier déjà, auprès des contribuables, le fait de ne pas opter pour une solution moins coûteuse, puisqu’il suffisait de travaux de réaménagement de voies existantes, alors que les Maréchaux ont été profondément remaniés, à un coût certain. Ensuite, le petite ceinture présentait l’avantage d’un site propre, c’est-à-dire que le tram aurait pu y circuler plus rapidement que mêlé comme aujourd’hui à la circulation automobile (carrefour, feux tricolores). Quant aux nuisances diverses, sonores surtout, les nombreux tunnels de la PC les auraient atténué incontestablement. Bien que parfois les voies de celle-ci passent très près des habitations. De toute façon, ces questions ne se sont apparemment jamais posées, puisque cette hypothèse n’a même pas ou guère peu été envisagée. Pas plus d’ailleurs qu’elle ne l’a été pour l’extension prochaine vers l’est et le nord (lire à ce sujet mon article « Les tramways parisiens ne se sont pas serrés la [petite] ceinture).

    En revanche, sur le tracé retenu, différentes options sont envisagées :

    ü  Pénétration plus en profondeur dans Paris pour permettre une offre plus grande niveau correspondances. Notamment à Nation, l’un des nœuds de l’Est parisien avec les lignes A du RER, et 6 et 2 du métro, sans parler des bus ;

    ü  Plus au nord ensuite, et après consultations publiques, extension jusqu’aux quartiers récents de la Porte d’Asnières ou en devenir des Batignolles qui malgré l’échec de la candidature parisienne à l’organisation des JO2012, devraient tout de même être remaniées en profondeur dans les prochaines années (nouveau palais de justice ?) ;

    ü  Escapade en très proche banlieue à la porte de Pantin et entre les portes de la Villette et d’Aubervilliers, là où les habitations sur les boulevards parisiens sont moins nombreuses, donc moins intéressantes à desservir (comme le long de l’entrepôt MacDonald, bien que ce dernier soit au cœur d’une vaste opération d’embellissement qui risque d’amener du monde dans les parages dans un avenir proche).

    Il ne reste plus, question épineuse, qu’à trouver les moyens financiers. En tout cas, avec ce qui est déjà envisagé, c’est la ligne PC2 qui ferait, la première, les frais de l’extension du T3. Même si ce dernier ne reprendrait probablement qu’en partie l’offre du bus, puisque seule une moitié dStation tramway porte de Gentillyes arrêts actuellement desservis serait conservée.

    Nous n’avons plus qu’à espérer que les quelques idées qui avaient jailli ici ou là pour l’ouest et le sud-ouest se concrétisent à leur tour (une fois encore côté financement). Car, le cul-de-sac que représente l’actuel terminus du pont du Garigliano (c.f photo ci-contre) n’est pas digne d’un bon réseau. Et même si l’interconnexion prochaine avec le T2 (La Défense/Issy-Val-de-Seine) pourrait atténuer le problème, il reste à étudier la possibilité de desservir des portes importantes de l'ouest parisien, comme celles de Saint-Cloud (métro 9, bus 22, 62, 72), d’Auteuil (métro 9 et 10, bus 32, 52, 123), Dauphine (université, RER C, métro 2), Maillot (RER C, métro 1, bus PC3, 73, 82), et/ou Champerret (métro 3, bus PC3, 84, 92, 93).

    Les erreurs d'aiguillage, au regard des attentes suscitées par son retour, sont désormais impossibles pour le T3.

    Eric BAIL pour èV_

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    [1] Les premiers tramways furent mis en service dans les années 1870 avec une montée en puissance progressive. Ainsi, le trafic passa de 250 millions d’usagers en 1890 à 550 millions en 1910. Et à son apogée, en 1925, le réseau STCRP comprenait 122 lignes formant un réseau de 1 111 kms qui transportaient près de 700 millions de personnes. Quant au dernier tramway à avoir circulé intra-muros, il s'agit du 123/124 Porte de Saint-Cloud/Porte de Vincennes. Toutefois, ce mode de transport survécut encore quelques mois en région parisienne, jusqu’en 1938 entre Le Raincy et Montfermeil avec la ligne 118. Source : LAMMING (Clive), Paris Tram, Editions Parigramme, Paris, 2003, pp.114-115  et  p.90 et p.113 (pour les chiffres).

    [2] Il est d’ailleurs  à noter que depuis quelques années maintenant, la régie a délaissé les plaques amovibles portant numéros et nBus porte de Vincennesoms des terminus et principaux arrêts de la ligne, au profit d’autocollants directement apposés sur le matériel, le condamnant presque exclusivement à un usage unique. Même si les glissières existent toujours et qu’il reste donc possible de transformer les véhicules la nuit en Noctilien ou de les affecter exceptionnellement  à une autre ligne que la leur (c.f photo ci-contre).

    [3] Les seuls changements majeurs récents demeurent l’allongement de la « 38 » jusqu’à la gare du Nord, le raccourcissement de la « 62 » de Vincennes à la BNF-François Mitterrand, ou les réaménagements début 2000 de l’ancien PC en PC1, 2 et 3. La « PC1 » ayant connu depuis d'autres changements, consécutifs à l'inauguration du T3 entre Ivry et le pont du Garigliano. Son trajet se limite désormais au tronçon Garigliano-Champerret.

    [4] Solutions qui existent et sont déjà en vigueur sur quelques lignes du réseau parisien comme la « 24 » qui roule depuis longtemps au gaz.

    [5] Identité visuelle notamment, architecture des stations, etc. Il est vrai que côté matériel, la diversité reste de mise, mais remplacer l'ensemble du parc métro d'un seul coup reste impensable. Et d'ailleurs, côté bus, l'homogénéité est déjà un peu plus la règle. Les Agora à plancher bas, longs ou courts, ont supplanté presque entièrement les R312, et les bus Heuliez notamment adoptent les mêmes caractéristiques que ceux de chez Renault puisqu'ils sont conçus à partir du même châssis.

    [6] Une seule boucle pour plusieurs sous-sections, avec parfois changements de bus à certaines portes de Paris, avec validation de plusieurs tickets selon le trajet effectué, etc. Souvenir ! Souvenir !

    [7] Apparemment, T3 ne sera pas renuméroté (au moins dans un premier temps) malgré son prolongement vers l’est et le nord, même si on envisage de le scinder, notamment porte d’Ivry, pour des raisons de maintenance, de régulation, etc. (information datant de I/2010).

    [8] Inaugurer pompeusement de nouvelles infrastructures bien visibles du citoyen électeur juste avant quelque échéance est toujours bon à prendre côté com pour les candidats.

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    Vidéo de l’Internaute sur le retour du « tram » dans la capitale :

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    Sources : metro-pole.net ; LAMMING (Clive), Paris Tram, Editions Parigramme, Paris, 2003 et travaux personnels dans le cadre de mon mémoire de maîtrise, Le personnel de la STCRP dans les années 1930, Paris VII/Paris-Descartes, 2000 (consultable à la médiathèque de la RATP).

    Photos personnelles prises en 2008 et 2009 ; plan et pub : aut-idf.org.

    Nouvelle version du vendredi 11/VI/2010.


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