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La misère est peut-être moins pénible au soleil comme dirait l’autre, mais le logement social, lui, peut-il apparaître aux yeux du plus grand nombre moins ringard et nauséeux en s’affichant coloré ? Difficile à croire !
Certes, depuis quelques années maintenant, les différents acteurs de la ville pensent avoir trouvé en la couleur (à outrance parfois) un moyen efficace de re-dynamiser l’espace urbain. Il n’est qu’à constater la myriade d’opérations architecturales récentes pour se convaincre que la ville aime de plus en plus se parer de couleurs criardes, pensant sans doute y gagner en représentativité et en originalité dans un monde mondialisé et aseptisé (la « blue tower » de B. TSCHUMI à NYC -ci-dessous-, le musée du quai Branly, ou l’atrium de Jussieu à Paris, etc.).
Pourtant, cet argument selon lequel la ville du passé, forcément contre-exemple pour nombre de nos décideurs actuels, n’aurait été que monochrome*[1] ne tient guère. Et que dire du couple couleur/vitalité en urbanisme et en architecture ! Certains m’accuseront sans doute d’en faire une fixation, mais de belles couleurs s’étalent un peu partout sur de nombreux (et parfois très réussis) édifices publics et privés de la Zac Rive-Gauche parisienne, pourtant la vitalité de cet « îlot urbain » laisse encore sérieusement à désirer.
Toutefois, quelques-uns continuent dogmatiquement d’affirmer que la couleur en grand, partout, sur tous les supports possibles, sert la ville, permet à ses habitants d’y vivre mieux, de s’y sentir mieux, de gommer les défauts du bâti (sic). C’est notamment le point de vue de l’équipe italienne Urbam e Dante O. BENINI & Partners avec son projet milanais de logements à loyer modéré, intitulé « Social Main Street », prévu pour 2011. Certes, les pseudo-oriels de toutes les couleurs donnent indubitablement du charme à l’édifice, et le contraste avec le blanc dominant fait jaillir une composition que n’auraient pas reniée certains grands architectes et artistes du mouvement moderne. D’autant plus que sur le toit prendront place divers équipements culturels et/ou sportifs (une Unité d’habitation à l’italienne en quelques sorte), mais aussi des panneaux photovoltaïques en situation de porte-à-faux. Du coup, il paraît évident que l’œil du citadin, riverain ou touriste, se posera sur ces façades, provoquant peut-être ici aussi un effet Bilbao. Ce que recherche prioritairement, sans doute abusivement même, nombre de villes aujourd’hui, des mégapoles jusqu’aux plus petites.
En revanche, ces quelques qualités esthétiques et plastiques n’effacent pas la forme géométriquement très élémentaire de l’ensemble, un parallélépipède de cinquante mètres de haut à base carrée, abritant une centaine d’appartements de 50 à 100 m². Et si le concept est intéressant, il le doit davantage, premièrement, à la standardisation et à la préfabrication (autre arlésienne de l’architecture du XXe siècle) de nombreux éléments de la structure qui permettent de faire diminuer les coûts de fabrication. Et de proposer ainsi aux étudiants, chercheurs et jeunes couples qui sont susceptibles de s’installer ici, à quelques encablures de l’Université Milan-Bicocca, des logements environ 20 % moins chers que ceux proposés actuellement par le marché milanais. Mais, l’opération est également séduisante, sur le plan environnemental, car les quatorze étages de l’édifice s’élèvent en bois dans le ciel milanais, seule la base de l’édifice étant en béton (sur trois étages), tandis que sa partie centrale accueille des systèmes d’aération, de récupération et de traitement des eaux. Enfin, dernière idée intéressante, les étages intermédiaires (avec accès wi-fi), et les jardinets d’agrément qui les accompagnent pour permettre aux futurs résidents des rencontres ponctuelles ou plus régulières afin d’en faire un véritable lieu de vie. Préoccupation à l’origin
e également de nombreux bâtiments conçus par les modernes (Corbu, époux SMITHSON, CANDILIS/JOSIC/WOODS, etc.) au siècle dernier.
L’architecte BENINI, lui, avoue même qu’avec ce projet, il se place dans la continuité de l’enseignement de F. L. WRIGHT, et fait de son architecture « une croisade en faveur de la civilisation humaine », une « expression de la dignité de l’être humain » ! Il y va peut-être un peu fort, mais il est vrai que l’image du logement social évolue indéniablement depuis peu. Ce projet le prouve, mais d’autres opérations en cours peuvent également en témoigner : à la Porte d’Auteuil en plein XVIe arrondissement par exemple, à deux pas de la « Villa Montmorency », gated communities parisienne très célèbre*[2]. Néanmoins, le chemin sera encore long pour redorer réellement le blason de ce qui reste pour nombre de citadins (de seconde zone ?) synonyme de calvaire au quotidien (bâtiment délabré, enclavé, etc.). Et il leur faudra sans doute beaucoup plus que quelques jolis arcs-en-ciel en façade pour voir la vie autrement en logement collectif et social.
Eric BAIL pour èV_
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[1] Un peu à l’image des enfants qui pensent le monde du passé terne, triste, sans aucune saveur car le découvrant au travers du prisme des films d’archives en noir et blanc.
[2] Ce projet de constructions de HLM (pourtant déjà haut-de-gamme et limité en terme de taille) a cependant déjà du plomb dans l’aile, comme plusieurs autres dans le même arrondissement. Les protestations et recours des habitants favorisés de cette partie de Paris, relayées par leurs élus dont M. le Maire, Claude GOASGUEN qui n’a pas hésité à dire que le « logement social dénature le XVIe arrondissement », le qualifiant même « d’anomalie » [sic], auront réussi à arrêter net les travaux débutés. Sous des prétextes disons plutôt tendancieux : pour la protection des bâtiments, des sites, d’espaces verts, voire d’un bunker allemand de la seconde guerre mondiale [sic]. En attendant, l’espace Auteuil a, lui, disparu depuis maintenant quelques mois, et un « trou » béant l’a remplacé et ne semble guère devoir être comblé de sitôt.
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Sources : archiportale.com.
Crédits photos : archiportale.com ; linternaute.com (pour la blue-tower).