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L’histoire des rapports tumultueux qu’entretiennent Paris et sa banlieue est émaillée de faits marquants, tout autant que de mythes qui ont fini par façonner de nombreux préjugés qui dominent encore à l’heure actuelle de chaque côté du périph’, comme auparavant des fortifs. L’un de ces mythes a longtemps été agité pour faire peur et a, sans doute plus que tout autre
, permis d’ancrer durablement dans la mémoire collective certaines images d’Epinal. Ce mythe, c’est celui de la banlieue rouge qui s’est forgé progressivement au fil des succès électoraux de l’extrême gauche communiste en périphérie parisienne entre les années 1920/30 et les années 1950/60.
Ils ont, bien que clairement exagérés, contribué à révéler et finalement à consolider l’image que se faisait Paris de sa banlieue, et vice-versa. Car avec ces évènements, la capitale « bourgeoise » sûre de ses valeurs qu’est Paris s’est vue comme une citadelle assiégée et encerclée de toute part. Tandis que sa périphérie qui se sentait, depuis bien longtemps déjà, délaissée et victime de la pression moralisatrice de son encombrante voisine, s’est prit à rêver du « grand soir », et à s’imaginer unie autour d’un parti et d’une certaine vision du monde et de la société.
Petite histoire d’une ceinture qui devait être verte et qui a fini par virer au rouge.
QUI SEME LE VENT ...
Il est difficile de dire précisément à quel moment la notion de banlieue rouge commence à être utilisée, et la peur agitée. Car, si le communisme municipal fut bien une réalité pendant plusieurs décennies, la banlieue n’est pas subitement devenue « rouge », et ne l’a finalement jamais été complètement. Quant aux relations difficiles entre la capitale et son environnement régional, elles ne sont pas nées des victoires communistes en banlieue à partir du premier entre-deux guerres. Et, celles-ci demeurent toujours tendues à l’heure actuelle alors même que la banlieue n’est plus rouge depuis bien longtemps (à peine rosée !). En témoignent les atermoiements autour du Grand Paris qui reste une arlésienne, et le restera probablement encore longtemps, vu le projet de loi récemment voté par le Parlement (ndlr en V/2010).
Il ne faut donc voir ce mythe que comme un énième soubresaut dans l’histoire des relations ambivalentes, et presque uniques dans l’histoire urbaine mondiale, entre ces deux espaces si proches et pourtant si différents. Ce qui finalement a pris consistance essentiellement à partir du XIXe siècle, et s’est renforcé au fil du suivant.
Notamment à partir de la décision de construire l’enceinte de Thiers dans les années 1840 qui donne l’impression à de nombreuses communes limitrophes de n’être finalement qu’un espace de seconde zone, dénué d’intérêt, juste bon à servir de zone tampon et de protection à la puissante, mais vulnérable, capitale. Avant que l’annexion autoritaire de onze communes et/ou morceaux de communes à Paris par l’administration impériale ne vienne encore renforcer ce sentimen
t (loi du 28/V/1859, décret du 31/X de la même année, pour une application au 01er/I/1860). Beaucoup de villes se trouvent alors amputées d’une grande partie de leur territoire, ou disparaissent complètement : Montrouge passe ainsi de plus de 500 ha à moins de 300 sans pouvoir s’y opposer, tandis que Vaugirard, Auteuil, Bercy ou Belleville se transforment en « simples » quartiers de la capitale.
Et que dire des grands travaux entrepris par le IInd Empire dans Paris. Cette vaste opération d’embellissement laisse un goût amer en zone suburbaine. Car, si elle fait de la ville une métropole moderne, et du même coup un modèle à travers le monde, elle tient aussi indéniablement à l’écart toute la périphérie immédiate. Ce qui tend à prouver aux « banlieusards » (même si on ne les appelle pas encore ainsi) que ces travaux n’ont eu, comme principal objectif, que d’évacuer hors de la capitale les populations, souvent laborieuses [donc potentiellement dangereuses], et les activités, souvent polluantes et encombrantes, dont Paris ne veut plus en son sein. Et comment comprendre, au moins en partie, le soulèvement de la Commune en 1871, sans parler déjà de l’état et de la nature de ces relations Paris/périphérie. Cet évènement ne marque t-il pas, en effet, aussi la volonté de ces classes populaires chassées du cœur de la ville de se le réapproprier ?
Et si cette première alerte émeut et commence à inquiéter les autorités, Paris ne rompt pas, tout au long du XXe siècle, avec cette attitude plus qu’ambiguë avec ses voisines. Certes, quelques barrières physiques et verrous sautent, les Fortifs en premier en 1919 (déclassées par la loi du 19/IV/1919), l’octroi sous Vichy en 1943 (loi du 02/VII/1943), mais les mentalités, elles, n’évoluent guère. La capitale, devenue entre-temps la rayonnante « Ville Lumière », continue de se débarrasser de ses pauvres en édifiant en banlieue les premiers grands ensembles*[1], tandis que morts et eaux sales parisiennes continuent de se déverser allégre
ment au-delà des limites de la commune. Et que dire de l’édification de ses réseaux de transport qui ont une fâcheuse tendance à se recroqueviller sur eux-mêmes. D’abord le métropolitain qui mit un quart de siècle avant de sortir, et encore très timidement (en 1934 vers Issy-les-Moulineaux), des limites de la ville. Ou bien le périphérique à partir des années 1950 qui tourne désespérément en rond autour d’une seule et même cité, tout en en consolidant physiquement ses limites administratives. C’est d’ailleurs très souvent le premier reproche fait à l’enceinte bétonnée, bien qu’elle soit aussi indispensable à Paris qu’aux villes de première couronne. Et que dire enfin des conséquences qu’eut l’édification des deux aéroports parisiens, à Roissy-en-France et à Orly : nuisances sonores et visuelles, pollution, villes et villages abandonnés, etc.
Les succès communistes en banlieue élections après élections, étant donné le ressentiment existant mais aussi en raison du contexte international qui ne favorisait guère le discernement et l’apaisement, ne pouvaient donc que susciter la crainte du côté des édiles et d’une frange de la population parisienne, et favoriser la construction mentale d’un encerclement menaçant.
LE FOND DE L’AIR EST ROUGE.
Et il est vrai que, très rapidement dans l’imaginaire collectif, les premières victoires du PCF en banlieue se transforment en déferlante rouge sur tout le département. Avec l’idée qu’une revanche était possible après tant de frustrations. Car effectivement, lorsque l’on évoque la ceinture rouge, la première image qui surgit en général est bien celle d’un raz-de-marée communiste (on dirait tsunami aujourd’hui) dans toute la périphérie parisienne, et ce dans un laps de temps très court.
Or, on est loin de s’imaginer que là n’est pas la réalité. Ainsi, la gauche ne réussit à glaner « que » onze mairies aux élections municipales de XII/1919, les premières de l’après-guerre et les dernières avant la création du parti communiste-SFIC au congrès de Tours en XII/1920. Sur soixante-dix-neuf communes que compte le département de la Seine à cette époque (chiffres de 1911, Paris inclus), s’il s’agit d’un tsunami, il a perdu de sa vigueur en frappant les limites du ter
ritoire parisien.
Quant à la légende, qui a la vie dure, de l’encerclement de Paris, elle ne tient pas davantage la route. Il suffit pour s’en persuader de consulter la carte des résultats électoraux de l’extrême gauche communiste en banlieue après les élections des 5 et 12/V/1935 qui représentent l’apogée (avant-guerre) du « communisme municipal ». Certes, le quart des villes du département de la Seine se choisit alors un maire PCF. Certes, trois grands blocs homogènes de villes communistes se créent aux portes mêmes de Paris*[2]. Mais tout de même, Paris en 1935 n’est pas Alésia en 52 a. C. THOREZ-CÉSAR, à la tête de ses légionnaires-communistes, n’est pas encore prêt à lancer une offensive sur le limes parisien. De toute façon, la nouvelle Rome entamant à peine son revirement stratégique historique (qui conduisit au rassemblement, puis au front populaire) ne l’aurait sans doute guère appuyé dans sa tentative.
Et de fait, plutôt que de parler de « ceinture rouge » autour de la capit
ale, nous devrions plutôt évoquer les « banlieues rouges » afin de mieux rendre compte de la diversité de la situation suburbaine de cette époque. Déjà parce que, outre des municipalités aux mains de communistes, de nombreuses autres villes se sont choisies un représentant socialiste. Un parti longtemps qualifié par le PCF (jusqu’à l’alliance de VII/1934) de « social-traitre », et dont les différences notamment idéologiques avec ce dernier sont à la mesure du trauma suscité par la rupture du congrès de Tours de 1920. Mais aussi enfin, parce que certaines autres communes de banlieue, bien que dirigées par des listes de gauche, sont entrées en dissidence et ne se retrouvent absolument pas dans la vision du monde du Komintern*[3]. C’est pourquoi, imaginer que ces élections puissent faire naître un unique espace atténuant d’un coup les particularismes locaux, effaçant miraculeusement querelles intestines et égoïsmes communaux, allant même jusqu’à créer de facto une solidarité et une conscience de groupe (capables de préparer la revanche), cela paraît excessif.
En réalité, c’est sans doute en raison d’un contexte national et international très tendu*[4] que cette victoire, vécue comme un véritable traumatisme par les élites, et par une grande partie de la presse, finit par se muer en raz-de-marée rouge. Les inquiétudes corporatistes de ces derniers finissant par rejaillir sur une opinion publique parisienne et plus généralement française forcément perméable et malléable vu l’évolution du pays et du monde depuis le début des années 1930. Caricaturalement, c’est là que naissent les images des hordes ouvrières et des « valets de Staline » aiguisant leurs couteaux (qu’ils portent évidemment entre leurs dents) et qui n’attendent qu’un ordre de Moscou pour fondre animés d’un fort esprit revanchard, et à partir de leurs solides bases-arrières de banlieue, sur de pauvres Parisiens acculés et sans défense. Sans oublier que la SFIC elle-même, ses cadres, le Komintern, les militants, etc. ont par leurs discours, leurs actions, leur propagande joué un rôle non négligeable dans cette amplification du mythe.
Car en fait, avec ces évènements, ce qui fit surtout peur à nombre de représentants de la IIIe République (des milieux politique, médiatique, des affaires, et aux édiles municipaux parisiens), ainsi qu’à une frange conséquente de la population du pays, c’est sans doute moins cette possible descente sur Paris de milliers de « barbares des temps modernes »*[5] que la crainte de perdre définitivement le contrôle sur cette partie du département le plus riche de France. D’autant que le communisme municipal ne pouvait à terme s’accompagner, à leurs yeux, que par une autonomisation importante par rapport à la capitale. Chose inimaginable étant donné sa valeur dans la bonne gestion de la vie, de la politique parisiennes, et sa position géographique qui mettait la plupart des grands lieux de décision nationa
ux à une encablure de rebelles incontrôlables*[6]. Sentiment encore conforté quand cette même périphérie porte à la tête de la Seine l’un des siens, le maire communiste d’Ivry/Seine, Georges MARRANE, un ancien ouvrier de surcroît. Ou bien lorsque cette défiante ceinture rouge prend la tête du mouvement de grève qui naît début V/36 (usines d’aviation et/ou d’automobiles de Courbevoie, de Saint-Denis, de Boulogne, de Colombes, d’Asnières, de Gennevilliers, etc.).
En réalité, ce que révèle surtout un tel vote massif pour les plus radicaux opposants à l’establishment républicain dans les banlieues de Paris à cette époque, c’est que celles-ci semblent vouloir s’échapper de la tutelle encombrante de leur voisine arrogante et méprisante, ne plus se laisser dicter leur conduite, et prendre enfin une place à part entière sur l’échiquier régional. En somme, ne plus faire rimer périphérie parisienne et zone tampon, dépotoir, réserve.
Evidemment, la fin rapide du Front populaire*[7], la marche à la guerre, le revirement aussi inattendu qu’historique de l’Union soviétique face à Hitler en VIII/1939*[8], la débâcle et finalement l’installation du régime de Vichy mirent à mal cet engagement communiste en banlieue, et affaiblirent durement et durablement le communisme municipal. Toutefois, les bases étaient bel et bien jetées et furent suffisamment solides pour qu’une renaissance rapide intervienne dès les hostilités achevées. D’autant que le rôle joué par les communistes dans ce conflit (réel tout autant que supposé et par la suite mythifié) favorisèrent rapidement une revitalisation de cet engagement communiste suburbain qui prit même, après-guerre, un nouvel, et véritable essor cette fois.
Eric BAIL pour èV_
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[1] La cité de la Muette à Drancy conçue, entre 1931 et 1934/5, par les architectes Eugène BEAUDOUIN et Marcel LODS (considérée comme le premier grand ensemble français, et qui fut entre 1941 et 1944 utilisée comme camp de concentration/transit vers les camps de la mort nazis) en est un exemple édifiant mais loin d’être unique. Ainsi, c’est l’office HLM de la ville de Paris qui géra les placements aux « 4 000 » de La Courneuve jusqu’en … 1984 ! De fait, cette attitude parisienne, vécue comme arrogante voire humiliante à force de répétitivité, a balayé tout ce qui a pu être fait, et parfois de très innovant à une plus large échelle, comme le réseau RER, les coopérations intercommunales, ou la tentative d'irrigation du territoire francilien avec l'idée des villes nouvelles.
[2] Un premier au nord/ouest, le plus modeste même s’il compte une ou deux grandes villes comme Nanterre. Un deuxième au nord/est, beaucoup plus imposant et menaçant, surtout si on y ajoute les mairies aux mains de la SFIO. Et enfin, un dernier au sud de taille également conséquente puisqu’il regroupe plus de la moitié des municipalités aux mains du PCF dans le département.
[3] Quelques exemples : le plus emblématique, Jacques DORIOT, maire de Saint-Denis depuis 1931, qui fit de la ville un bastion du PC-SFIC avant d’être exclu du parti pour ses prises de position en VI/1934 ; ou encore Charles AUFFRAY, maire de Clichy-la-Garenne depuis 1925, également communiste de la première heure avant qu’il ne se décide à quitter le PCF en 1929.
[4] Sanglantes et répétitives émeutes, entre les extrêmes notamment (comme celle du 06/II/1934) ; Front populaire aux commandes, et qui peinent à calmer les ardeurs de la rue ; guerre d’Espagne dans laquelle s’opposent fascistes et communistes ; coups de force des dictatures, etc.
[5] Bien hypothétique même aux yeux des plus farouches anticommunistes qui ne se servent de cette image qu’à des fins évidemment propagandistes.
[6] Ce qui se fera sentir jusqu’en V-VI/1940 quand, dans un Paris évacué par le gouvernement devant l’avancée allemande, de fausses et folles rumeurs firent un temps de Maurice THOREZ, secrétaire du PC-SFIC, le nouveau locataire de l’Elysée. Certains affirmant même avoir vu le drapeau rouge flotter sur le toit du palais présidentiel [sic].
[7] Si la majorité issue des élections d’IV-V/1936 demeure bien en place jusqu’à la mise à mort de la République par Pétain, Laval et leurs sbires, avec la complicité de la quasi-totalité des parlementaires le 10/VII/1940, à Vichy, le Front populaire lui ne survit que quelques mois. Ce sont d’abord les communistes qui lâchent leurs alliés socialistes et radicaux dès IX/1936, avant que ne chute le gouvernement BLUM en III/1937 ; et qu’en IV/1938, DALADIER ne referme définitivement la parenthèse en formant un gouvernement sans socialistes, afin de « remettre la France au travail » [sic].
[8] Pacte germano-soviétique qui eut des conséquences pour la France sur le plan militaire certes (fin de l’espoir d’une nouvelle alliance type « Triple Entente 1914 »), mais aussi de façon plus inattendue sur le plan politique. En effet, les directives de la IIIe Internationale exigeant une allégeance complète du PCF à la politique soviétique, se développe alors chez les communistes français l’idée d’une « guerre impérialiste » à laquelle il ne faut pas adhérer. Maurice THOREZ quitte alors le pays pour Moscou, et Edouard DALADIER, président du Conseil, fait dissoudre le PCF et interner les députés communistes (des élus de la nation !). Sur le plan local, s’ensuit démissions et désorganisation qui pesèrent sur le communisme municipal jusqu’en 1945.
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Principales sources : FOURCAUT (Annie), collectif, Paris/Banlieues, conflits et solidarités, Paris, Creaphis Editions, 2007, 475 p. ; RONAI (Simon), Paris/banlieue : je t’aime, moi non plus (article publié sur cairn.info/revue-herodote en 2004) ; pour les photos, c.f google images ; carte personnelle du département de la Seine représentant le résultat des élections municipales de 1935 (rose : SFIO ; rouge : PCF ; les communes de gauche dissidentes et les minorités communistes ne sont pas indiquées).
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Vous ne l’aurez peut-être pas remarqué ce matin (ndlr, le vendredi 28/V/2010) avec la sortie de l’Ipa… qui occupe outrageusement les unes de nos grands quotidiens nationaux, mais c’est bien hier qu’a eu lieu l’adoption définitive du projet de loi sur le Grand-Paris par le parlement français, près de trois ans après le lancement de
ce grand chantier par le président de la République, Nicolas SARKOZY.
On nous avait, encore une fois, promis une révolution notamment en matière de gouvernance. On nous avait promis de n’oublier rien (transports, logements, aménagements, solidarité territoriale, etc.), ni personne, c’est-à-dire surtout les Franciliens qui souffrent au quotidien du manque de logements et des carences des transports collectifs. On nous avait vendu un grand débat national dans lequel chacun pourrait apporter sa contribution (un site internet fut même lancé dans cet objectif). On avait convié les plus grands noms de l’architecture et de l’urbanisme (NOUVEL, PORTZAMPARC, CASTRO, ROGERS, en tout dix équipes avaient été retenues). On avait créé un secrétariat d’Etat à la région-capitale, confié au charismatique et dynamique Christian BLANC, déjà redresseur en son temps de situation désespérée : à Air France ou à la RATP. On nous avait assuré, pour le salut du projet, que les clivages traditionnels entre élus de la région (gauche/droite ; Paris/banlieue ; villes riches/villes pauvres, etc.) et entre eux et l’échelon étatique seraient combattus puis annihilés. On nous avait annoncé un financement public exceptionnel, avec le lancement d’une grande contribution nationale, afin de faire vibrer les foules. On parlait déjà de ministères en banlieue, de la création d’une « Silicon Saclay », de milliers d’emplois créés, etc. La Cité de l’architecture et du patrimoine de Chaillot y consacra, pendant un an, une exposition qui eut un succès certain à défaut d’une mise en scène cohérente et bien pensée. Bref, toute la « sarkozye » avait été mise en branle pour faire du vœu du président une œuvre historique dont on se souviendrait.
Oui, mais voilà, la montagne a comme souvent en France accouché d’une souris. Et ce que redoutait nombre d’observateurs a bien eu lieu, le projet est essentiellement (uniquement ?) centré sur les transports publics. Non pas qu’il ne fallait pas agir dans ce domaine vu la saturation de la plupart des lignes de métro et de RER de la région aujourd’hui, vu l’état de la circulation automobile chaque matin dans toute l’Ile-de-France, vu les prévisions de croissance du trafic, mais limiter le projet à la création d’une « simple » rocade de métro automatique en première couronne (ou en deuxième ; ou un peu des deux) est sans doute une erreur historique fondamentale que commet la présidence actuelle. Au même titre à mes yeux que celle que commirent en leur temps les instances dirigeantes qui, par anti-parisianisme primaire (le fantôme J-F. GRAVIER*[1] n’est jamais loin), firent d’abord imploser le département de la Seine, avant de limiter au maximum l’étendue de la région Ile-de-France. Pour s’apercevoir, un peu tard, que cela fit de Paris une ville en retrait sur la scène internationale.
Une chance, peut-être unique, de faire bouger les lignes et de faire de Paris une capitale dynamique et fondamentalement moderne, vient sans doute de passer sous nos yeux. Le mille-feuille institutionnel subsistera probablement, les inégalités régionales demeureront elles aussi sans doute encore bien longtemps, et les milliards d’€ serviront surtout à créer quelques pôles régionaux et une jolie vitrine pour la RATP et la SCNF (métro automatique, gare « verte », etc.). Tout ça pour ça. Galériens, euh Franciliens pardon, consolez-vous, vous pourrez au moins suivre l’avancement des travaux sur votre tout nouveau gadget signé App… L’Histoire, elle, attendra…
Eric BAIL pour èV_
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[1] Célèbre géographe français (1915/2005), auteur du non moins célèbre « Paris et le désert français » (1947) qui s’appuie sur le constat suivant : les grandes villes, et surtout la première d’entre-elles, Paris, ont vidé le reste du pays de sa substance, en ont abusivement tiré parti à leur seul profit. Bien que contestée (proche de l’idéologie vichyste, régime auquel GRAVIER était plus ou moins lié d’ailleurs), cette théorie eut un retentissement considérable, notamment auprès des décideurs politiques après-guerre.
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Sources : lemonde.fr, lefigaro.fr et liberation.fr.
Cartographie :
ü document 1 : carte des limites de ce qu’aurait pu être le Grand-Paris s’il avait adopté approximativement les limites de feu département de la Seine (création personnelle) ;
ü document 2 : carte du projet issue d’un article en ligne du figaro traitant de la question.votre commentaire
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L’exposition universelle « crue 2010 » vient donc d’ouvrir ses portes le vendredi 30/IV à Shanghai, la capitale économique de la Chine ainsi que sa ville la plus peuplée (environ 20 milli
ons d’âmes/source : french.china.org.cn), pour une durée de six mois, jusqu’au 31/X prochain*[1]. Pensée par le pouvoir communiste dans le prolongement des JO de Pékin d’il y a deux ans, l’expo2010, de par sa démesure, devrait conforter un peu plus l’image que le reste du monde se fait (doit se faire ?) de la Chine moderne. En effet, celle-ci devrait pulvériser tous les records établis jusqu’à présent en la matière comme le firent en leur temps les JO2008. Ainsi, on chiffre à 30 milliards d’euros les investissements réalisés. Sa superficie est établie à 5,3 km², soit 1,5 fois Central-Park ou l’équivalent du XIVe arrondissement de Paris. Y prendront part un peu moins de 250 participants, pays ou organisations, pour comparaison, l’Expo70 d’Osaka en accueillit moins de 80 ; celle de Séville en 1992 une centaine. On y attend plus de 100 millions de visiteurs, ce qui représenterait le double de ce que connurent en leur temps les succès parisien de 1900 ou montréalais de 1967. Et que dire des milliers de Chinois et centaines d’usines déplacés pour l’occasion, puisque les autorités ont choisi une prestigieuse implantation en plein centre/ville, comme purent le faire autrefois certaines métropoles (on pense à Paris évidemment)*[2].
En tout cas, si on ne sait plus vraiment à quoi servent aujourd’hui ces grands messes un peu désuètes, alors qu’elles avaient au moins jadis
la prétention d’être une sorte de vitrine des innovations, des savoirs, des techniques de l’humanité (enfin une infime partie, celle qui avait accès aux richesses), on ne sait que trop bien en revanche qu’elles sont le moment privilégié pour chacune des nations participantes de donner au monde une certaine représentation d’elle-même. Un principe immuable des expos depuis leur création mi-XIXe. Souvenons-nous par exemple du pavillon allemand de MIES VAN DER ROHE à Barcelone en 1929 (c.f ci-dessus) chargé de montrer une image moderne et dynamique de la jeune République de Weimar déjà fortement contestée. Souvenons-nous aussi de celui de la France à l’expo de Bruxelles en 1958, avec sa flèche élancée fièrement dans le ciel, prouvant au monde le retour du pays sur la scène internationale après la lourde défaite de 1940, et au cœur des déboires coloniaux et alors que la IVe République agonise. Et dans un registre plus dramatique, comment oublier ceux de l’Allemagne nazie (signé Albert SPEER) et de l’URSS stalinienne à Paris en 1937 préf
igurant déjà la lutte à venir, et qui cristallisèrent toutes les attentions et les tensions autour de leurs imposantes structures se faisant face, et qui étaient triomphalement surmontées pour l’un de l’aigle nazi, pour l’autre d’une gigantesque statue de l’ouvrier et de la kolkhozienne.
Sur ce point, Shanghai ne déroge évidemment pas à la règle. On pourrait multiplier les exemples*[3], nous nous contenterons d’évoquer les plus significatifs, même si je reconnais dans mes choix une subjectivité certaine.
Tout d’abord, commençons par l’hôte de cette nouvelle édition, la Chine et son pavillon, disons, renversant. Pou
r 150 millions d’€, encore un nouveau record, l’empire du milieu se paye un édifice rouge vif aux dimensions imposantes, puisqu’il atteint les 63 mètres de haut. Impression grandiose d’ailleurs renforcée par la localisation du pavillon, sur un espace dégagé de plus de 160 000 m², et par la limitation imposée par les organisateurs aux autres participants pour leurs propres constructions, à savoir pas plus de 30 mètres de haut. Le nom du pavillon choisi par les autorités communistes est également significatif, « Couronne de l’Orient ». Il paraît évident, qu’à travers lui (comme en 2008 de ses jeux et de sa délégation), la Chine entend bien poursuivre son œuvre décomplexée d’affirmation de son leadership sur l’Asie (voire au-delà), tout en démontrant sa puissance politique, économique, démographique, militaire, technologique, etc., de par les dimensions et prouesses techniques du bâtiment (notamment des étages supérieures en porte-à-faux de façon impressionnante).
Toutefois, son architecture souligne aussi l’am
bivalence de la position de l’empire du milieu. Car, en choisissant délibérément la couleur rouge de la Cité interdite, et la forme, renversée, de l’ancestral palais de l’Harmonie suprême, tout en y exposant la couronne impériale et en y célébrant les différentes ethnies en son sein, elle fait directement référence à son passé, en réaffirme la force, la beauté (ce qui n’a pas toujours été le leitmotiv des autorités communistes), tout en souhaitant donner d’elle une image apaisée, sûre d’elle et de ses valeurs, fière de son unité, etc. Tout un programme !
Deuxième exemple avec le piquant pavillon britannique. L’objectif de l’architecte anglais/concepteur, Thomas HEATHERWICK, était « de donner aux Chinois une image non conventionnelle de la Grand
e-Bretagne ». C’est plutôt réussi, puisque la structure en acier haute de vingt mètres en forme de cube suscite l’étonnement, y compris chez de vieilles connaissances des Anglais que nous sommes, du fait de sa peau hérissée de 60 000 filaments transparents et ondulants au gré des vents. Certes, le grain de folie britannique se retrouve ici et conforte finalement l’image que pouvaient se faire jusqu’à présent les étrangers, et notamment les Asiatiques qui seront les principaux visiteurs de l’expo2010, du « spirit made in britain ». Mais, tout de même, on est loin d’un bâtiment conventionnellement architecturé pour une expo de ce genre. Ça ne ressemble à rie
n, ça ne sert pas à grand-chose (ou alors vous aimez les massages XXL ; d’autant que l’intérieur est à peu près identique), et la Grande-Bretagne ne se dévoile pas à travers lui, au moins de prime abord. L’architecture crée donc plutôt ici un objet d’art au sens littéral du terme. D’ailleurs, son créateur le conçoit comme tel quand il affirme que « le pavillon doit faire mieux comprendre la richesse de la culture contemporaine britannique ».
Concluons enfin avec le pavillon français, signé Jacques FERRIER, surnommé « Sensual City » (sic). Le message paraît clair, en tout cas à l’opposé de nos amis britanniques, il faut conforter aux yeux des Chinois l’image qu’ils peuvent se faire de l’hexagone. Peut-être que les tensions entre nos deux pays ces dernières années y sont pour quelque chose dans ce classicisme affichée, et réaffirmée sans fard. Ce qui se voit dans le contenant tout autant qu
e dans le contenu.
Ainsi, extérieurement, FERRIER nous gratifie d’un bâtiment à la forme plus que conventionnelle, un simple parallélépipède, qu’il habille pour en masquer sans doute la trop grande simplicité (pauvreté ?) architectonique avec un ersatz d’exo/squelette (c.f ci-dessous), puisqu’il ne s’agit en rien de la véritable structure, et qui en plus sent un peu le réchauffé. En effet, il semble bien que ce concept soit un peu passé de mode du côté des architectes depuis un moment. Mais bon, FERRIER semble surtout l’utiliser pour rompre la monotonie des lignes de son bâtiment, chose dont il est souvent coutumier*[4]. En tout cas, cela montre surtout le niveau de la créativité tri
colore en ce moment. Et encore avons-nous échappé au projet RICCIOTTI !
Que renferme ensuite ce pavillon français ? Des toiles sorties du musée d’Orsay (musée consacré pour ceux qui l’ignorent aux œuvres artistiques du second XIXe siècle), dont la « Salle de danse à Arles » de VAN-GOGH (1888), ou « l’Angélus » de MILLET (1859) ; les jumeaux Pourcel pour illustrer la prestigieuse gastronomie « made in France de papa », et un jardin/terrasse à la française, du Le Nôtre version « french touch », mais qui sent quand même bon le XVIIe siècle.
Enfin, et pour couronner le tout (et je vous
assure qu’il ne s’agit pas de plaisanteries de ma part), une mascotte qui répond au doux nom, labellisé « terroir français », de Léon (un prénom à la mode entre 1910 et 1940, et qui est donné chaque année depuis 10 ans environ à au moins 250/300 bébés français, c’est dire que c’est représentatif de notre pays*[5]), et un parrain, que dis-je, le parrain (il vous en prie !) bien connu pour être un dieu vivant au Japon (peut-être que l’on souhaite réitérer la chose avec les Chinois), j’ai nommé le monument, l’éternel, le modeste Alain DELON.
Oui je sais, je m’écarte un peu de l’architecture, mais cumulé, ça fait tout de même beaucoup. En tout cas, il semble bien que la « France d’après » aime se représenter avec pas mal d’attributs de la France d’avant et, ce qui est plus grave à mes yeux, ne cherche même pas à ce qu’on la perçoive différemment… Vive Shanghai1810… euh 2010 pardon !
Eric BAIL pour èV_
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[1] Certains TO proposent des packs vol/chambre 2 personnes, hôtel 3* ou 4* pour 8 jours/billet 2 jours pour l’Expo2010 compris, pour environ 1 500/1 600 € ; réservation ici.
[2] Chiffres issus du dossier consacré à Shanghai2010 par le figaro, consultable ici ; et en ce qui concerne les anciennes expos, google.fr.
[3] Ainsi, j’aurais pu parler du pavillon transalpin. Sa sobriété et ses lignes épurées façon mouvement moderne font indéniablement échos aux valeurs attribuées de longue date au design ou à l’architecture italien
s. Alors que ses multiples lignes de rupture peuvent renvoyer à la diversité et à la complexité des différentes composantes de l’Italie d’aujourd’hui. Tandis que ses sas d’entrée et sa couverture (partiellement pour cette dernière) vitrés peuvent souligner le souci de transparence d’un pouvoir berlusconien contesté sur ce plan.
Vous pouvez retrouver un aperçu de quelques-uns des pavillons de Shanghai2010 sur le site archiportale.com (pour celles et ceux qui pratiquent la langue de Dante évidemment ; même si vous pouvez vous contenter des très belles photographies des édifices).
[4] C.f les ateliers pour tramways de Bordeaux de 2002, la cité de la voile de Lorient de 2007, le parking de Soissons de 2009 (assez intéressant au demeurant), le pont de chemin de fer de Choisy-le-Roi de 2010, etc. ; source : archiguide.fr.
[5] Source : prenoms.com.
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Vidéo du pavillon français où la journaliste d’Europe1 n’est pas avare de compliments sur la réalisation de FERRIER, même si on ne comprend pas toujours très bien où elle veut en venir. Extrait : « C’est le pavillon qu’on voit de loin » ; « Versailles de science-fiction » (sic) ; « écrin d’une véritable cascade verte », à vous de juger :
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Sources (y compris pour les photographies) : lefigaro.fr (dossier consacré à Shanghai2010) ; lemonde.fr ; archiportale.com ; pavillon-france.fr (site officiel du pavillon français de Shanghai2010) ; fr.expo2010.cn (site officiel de Shanghai2010).
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La Cour des comptes est certes en ce moment au cœur de l’actualité et comme groggy suite au décès brutal de son très charismatique et dynamique premier président, Philippe SEGUIN, et alors que l’on vient d’apprendre, ce jour [ndlr 23/II/10], la nomination à ce même poste du député socialiste Didier MIGAUD, sur décision du président de la Républi
que, Nicolas SARKOZY. Elle n’a toutefois rien perdu de sa verve. C’est ainsi qu’elle vient d’épingler dans son rapport annuel [délibéré le 07/V dernier] la RATP et diverses institutions/administrations, à propos de leurs choix quant au retour du tram dans le sud de la capitale.
Mais, que reprochent les magistrats de la rue Cambon exactement à nos édiles et à la régie à ce sujet ? Entre autres, que le prolongement de T2 jusqu’à la porte de Versailles n’aurait peut-être pas du prendre la forme qu’on lui connaît depuis maintenant quelques mois. Et que le tracé adopté pour T3, s’il peut politiquement se comprendre et s’expliquer, ne se justifiait sans doute pas ou difficilement au vu des inconvénients qu’il comportait.
Quand gagner est déjà joué !
Dans ce dossier en effet, était-ce même tout simplement utile de participer ? Tout n’était-il pas tronqué dès le départ ?
Ce sont en substance les questions que se pose la Cour dans le rapport, tant nombre de « décisions sujettes à caution » semblent avoir été prises. Tant aussi les autorités dirigeantes et organisatrices dans leur désir de réaménager la ville, d’instaurer une nouvelle façon de penser les déplacements urbains, voire dans leur sou
ci de surfer sur une vague écolo/populo/bobo, ont sans doute occulté aveuglément les tares et les faiblesses de l’option « voirie/Maréchaux » au détriment de l’option « petite ceinture ferroviaire » qui sans être la panacée présentait tout de même nombre d’avantages. Aveuglement qui conduisit même RATP et décideurs à proposer presque systématiquement parades et solutions aux problèmes parfois soulevés avec insistance par certains observateurs avisés qui soulignèrent le risque à terme pour la bonne gestion du dossier.
Ainsi, selon la Cour, pourquoi avoir sans cesse surestimé la vitesse commerciale, ainsi que le débit-voyageurs de l’option « T3/Maréchaux » ? Les chiffres avancés étant parfois difficiles à croire : jusqu’à 20 km/h de vitesse commerciale et 100 000 voyageurs/jour. Alors même que le choix de l’insertion au sein d’une circulation déjà dense et hétéroclite, ne pouvait que ralentir à terme la vitesse d’exploitation*[1]. Sans même évoquer le problème de la congestion automobile du sud parisien que ne manquerait pas de poser l’adoption du projet « voirie ». Inconvénient inexistant dans l’autre option en site « réellement » propre et qui présentait lui des pointes de vitesse avoisinant les 30 km/h, sans gêner aucunement le trafic automobile. Tandis que le faible nombre de stations engendré par l’option « Maréchaux », une quinzaine, du fait de l’empreinte voirie lourde des aménagements mais aussi de la nécessité de maintenir une vitesse d’exploitation convenable en évitant la multiplication du nombre d’arrêts, réduisait l’offre de feu-PC1, sans concerner un bassin de population
plus important que dans l’option « belle endormie ».
C’est pourquoi, pour contrer les détracteurs et afin de couper court à tout début de polémique, la parade ici fut toute trouvée et sans cesse agitée comme la panacée : « priorité aux feux ». On voit aujourd’hui les conséquences que cela peut avoir au quotidien sur la vitesse du T3 (notamment aux heures de pointe, à peine 15/16 km/h, contre un peu plus de 14 pour l’ex-PC1 sans priorité aux feux), sur la circulation automobile (bouchons interminables de part et d’autre des Maréchaux), et sur la gestion de la voirie également (présence quasi-permanente de forces policières et/ou de régulation).
D’autant que deuxième argument avancé par la Cour pour condamner les instances organisatrices de transport dans ce dossier, les solutions non retenues, voire pour certaines d’entre-elles à peine envisagées voire évoquées, auraient été moins coûteuses. Sans même parler de la rentabilité financière à terme du projet T3 option « Maréchaux » apparemment également surévaluée. Globalement, le coût total avoisinerait désormais les 350 millions d’€ auxquels il faut bien évidemment ajouter la vingtaine de millions d’€ liée à la requalificatio
n urbaine, et les quelques deniers publics qui avaient déjà été consacrés à un premier aménagement de voirie lors de la partition de la ligne PC en trois tronçons en 1999. Bref, au final, T3 aura compté cher aux contribuables franciliens, et la régie pourrait bien avoir succombé aux sirènes de la com’ au détriment de la rentabilité économique du projet.
Alors certes, la remise en service de la ligne PC aurait indéniablement, elle aussi, coûté très cher, et divers problèmes sous-évalués et/ou peu quantifiés par les diverses études et liés à la vétusté des installations et infrastructures, ou à la gestion d’un environnement délicat (habitations proches, bruit pour les riverains, oppositions diverses notamment de la part de ces derniers, travaux difficiles, etc.) n’auraient sans doute pas manqué de faire grimper les coûts. Toutefois, pour le savoir, pour évaluer faisabilité et fiabilité de l’option « petite ceinture », pour assurer en somme une compétition saine et équitable, il aurait fallu creuser un peu le dossier « PC ». Et par exemple, ne pas occulter systématiquement les études qui lui étaient favorables (notamment le rapport RFF d’IV/06), en allant jusqu’à nier leur existence.
Bis repetita !
Et comme une mauvaise nouvelle n’arrive jamais seule, la PC (en tant qu’infrastructure de transport) allait en quelque sorte mourir une seconde fois. Avant sans doute d’être définitivement enterrée sous le projet de « micro-ceinture verte » envisagé par la mairie de Paris. En fait, « micro-tronçon vert » puisque le saucissonnage et le démantèlemen
t ont déjà commencé en divers endroits du tracé (travaux à l’ouest sur les sites France-Télé et gare d’Auteuil, et à l’est autour du pont National).
En effet, le prolongement du T2/Val-de-Seine jusqu’à la porte de Versailles, tôt envisagé et récemment inauguré, a délibérément écarté la réutilisation du tronçon PC entre « Garigliano » et le parc des expos. Lui préférant, une fois encore, une option « voirie » plus visible à travers Issy-les-Moulineaux et le sud du XVe arrondissement de Paris. Décision contestable et qui, derechef, a fait fi des critiques et des rapports prouvant le plus grand intérêt à relancé l’exploitation de la PC plutôt qu’à opter pour un T2/voirie : davantage de populations concernées, vitesse d’exploitation supérieure, moindre coût global, meilleure rentabilité à long terme, etc. D’autant plus que dans l’option finalement choisie, T2 aboutit désormais au cul-de-sac de la porte de Versailles, sans lien direct avec T3 (un boulevard et une place les séparent). Ce qui tend à prouver le manque de vision à long terme de nombre de nos décideurs. En effet, n’aurait-il pas été plus judicieux d’envisager une réutilisation de la PC à partir du pont du Garigliano, permettant ensuite de pousser plus à l’est et au nord ? Mais, il est vrai que le prolongement de T3 jusqu’à la porte de la Chapelle, via les Maréchaux, était déjà dans les cartons ! (et sur les murs du rel
ais-com’ de la mairie, à savoir le pavillon de l’Arsenal par le biais d’une expo fin 2008). Ce qui tend également à prouver que l’éventualité d’une utilisation « fret » des lignes projetées n’a jamais véritablement été envisagée. Sinon, il est fort à parier que la PC aurait emporté la partie, sachant que la part fret sur T2/T3 et T3 prolongée se réduit, et se réduira toujours, à néant.
En somme, et c’est bien ce qu’à dénoncé la Cour dans son rapport, outre les innombrables incohérences soulevées et pointées, c’est que pratiquement personne n’a sérieusement envisagé une réutilisation de la PC. Personne [j’entends chez nos chers décideurs] ne semble même lui avoir donné une chance de pouvoir un jour renaître de ses cendres, écartant tout ce qui pouvait la présenter sous un jour favorable. La cantonnant à un « second » rôle, et la condamnant à ne plus être qu’un « sentier nature » comme le proclamait haut et fort l’exposition publique à la mairie du XVIe arrondissement en XI/XII/06.
Eric BAIL pour èV_
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[1] Et sachant aussi que le succès serait au rendez-vous, vu le nombre de voyageurs déjà transportés par les bus PC1 avant l’inauguration du tram. Chiffres sans cesse en augmentation et atteignant déjà les 80/85 000 voyageurs/jour. Ce qui ne pouvait se traduire pour T3 que par une diminution de sa vitesse d’exploitation.
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Sources : LAVAL (Patrick), DUMONT (François), La cour des comptes attaque le tram des Maréchaux, Ville, Rail & Transports magazine, 2010, #489, p.30-39.
Crédits photos :
ü Photo 1 : Tram T3 quittant la station Balard et passant devant le bassin d'essai, photo personnelle prise le 21/III/09 ;
ü Photo 2 : terre-plein central du T3 près de la porte d'Orléans, photo personnelle prise le 27/IX/08 ;
ü Photo 3 : Porte d'Orléans, photo personnelle prise le 26/XII/08 ;
ü Photo 4 : paysage "petite-ceinture" porte de Charenton, photo personnelle prise le 08/V/09 ;
ü Photo 5 : derniers travaux Porte de Versailles sur la ligne T2 avant inauguration, photo personnelle prise le 02/VII/09 ;
ü Photo 6 : résurgence de la PC au parc Montsouris, photo personnelle prise le 27/IX/08.
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Dans les années 1990, alors que l’ordre mondial issu de Yalta s’écroulait, il a incontestablement incarné [notamment pour nous, jeunes élèves, dans nos cours de géo] la mondialisation des échanges, alors présentée comme la pierre angulaire d’une société globale en voie d’émergence. On parlait alors encore joliment, presque poétiquement, de « village-monde », ou bien de « village-planétaire », même si ces expressions n’étaient pas nouv
elles.
Lui, c’est bien évidemment le conteneur, vaste boite de conserve parallélépipédique fourre-tout et extra-polyvalente qui devait arpenter toutes les mers du monde, et modifier à jamais le trafic maritime international. Au point de faire naître et/ou de démocratiser tout un vocable lié : gateway, hinterland, conteneurisation, slot, etc. Tout en s’imposant parallèlement dans le paysage, évidemment maritime avec les NPC (navires porte-conteneurs) qui se multiplièrent en nombre, mais aussi et surtout côtier, avec la naissance de vastes zones portuaires à l’environnement caractéristique avec grues, engins de levage, de tri, lieux de stockage, etc.
Si beaucoup ne pensait pas un tel ras-de-marrée possible, cinquante ans à peine après son invention aux Etats-Unis, plus rares encore sont ceux qui s’imaginaient qu’il pouvait servir, en version sédentarisée cette fois, à stocker non plus de vulgaires marchandises, mais bien des hommes. Car, en effet, depuis quelques mois maintenant, notre bon vieux « container » est plébiscité à la fois par certains responsables politiques et par nos amis les djeun’s comme … chambre/studio universitaire. La version « faux hall d’immeuble » existe aussi, mais elle a connu, notamment au Havre, moins de succès, nous y reviendrons dans un article ultérieur.
Mais, qu’est donc venu faire notre conteneur dans cette galère ?
Le manque d’imagination au pouvoir !
La question de la situation de crise presque perpétuelle dans laquelle se trouve le logement social et/ou étudiant n’a de cesse de se poser avec âpreté, en France, depuis maintenant plus de cinquante ans. Elle fait régulièrement la une de l’actualité, et pousse les associations de défense des mal-logés et les autorités à s’opposer par médias interposés, à coups de plans et contre-plans, d’actions, de déclarations, de chiffres avancés et immédiatem
ent contredits, etc.
Pourtant, ces derniers ne trompent pas, tout comme la multiplication des lois qui témoignent d’un malaise persistant : 156 000 places seulement en cité U ou HLM disponibles pour1,3 million d’étudiants*[1] ; des loyers de 500 à 700 €/mois pour une chambre qui ne dépasse parfois pas les 10 m² ; à peine 160 000 logements sociaux mis en chantier en 2009, année noire, alors que 2008 avait déjà été calamiteuse sur ce plan avec 215 000 unités lancées ; plus d’un million de personnes en attente d’un logement social ; loi SRU de XII/2000 à peine ou non-appliquée dans de nombreuses communes du pays (dont la plus emblématique, Neuilly/Seine), etc. Et les faits divers révélés par la presse les confirment hélas trop souvent. Pour ne citer que deux exemples récents : l’annonce de la démolition de 800 logements d’une cité U d’Antony [liberation.fr, 09/X/09], ou la grève de loyer décrétée par des étudiants lillois face à l’état de délabrement de leur résidence [lemonde.fr, 25/II/10].
On peut donc aisément comprendre que la solution conteneur ait à ce point intéressé nos édiles et la presse. Alors, en voie de guérison l’éternel mal français ? Pas si sûr ! Pourtant, c’est vrai que l’option « logement /conteneur » possède d’indéniables atouts.
Sous les pavés, le port !
D’abord, évidemment, on en trouve pléthore sur tous les sites portuaires français, européens et internationaux qui ne demandent qu’à se reconvertir faute d’usage à l’heure actuelle. Reconversion qui peut d’ailleurs intervenir rapidement (une société lyonnaise en a déjà fait son fonds de commer
ce, tout comme la hollandaise Tempo/Housing), et sans de lourds investissements de la part de la collectivité. Une source, citée par l’AFP, évoquait trois à quatre millions d’€ pour une centaine d’unités converties (in lepoint.fr du 30/I dernier). Ce qui permet de les proposer à l’achat autour de 30 000 € pièce, et à la location (selon les services qui y sont associés) entre 250 et 450 €/mois. Pour un 50 m², meublé, avec balcon, eau, électricité, et connexion internet, c’est là que cela devient intéressant pour les étudiants.
D’autant que, autre argument de poids, urbanistiquement parlant, il est possible d’assembler, comme un mécano géant, toutes ces boites sur cinq ou six étages afin de créer de véritables micro-quartiers sans que cela ne nécessite une grande réserve foncière, souvent difficile à mobiliser, notamment en ville. Cela permet même parfois de reconvertir des friches industrielles peu valorisante
s pour l’image de la ville. C’est ce qu’à fait Amsterdam avec deux exemples, l’un de 1 300 logements en centre-ville, et un autre plus restreint aux abords du port (source : reportage de France3).
En France, c’est la ville portuaire la plus « conteneurisée », Le Havre, qui s’est montrée la plus intéressée par l’expérience, dans le cadre du plan de relance des Universités de la ministre de l’enseignement supérieur, Mme Valérie PÉCRESSE, qui a pu compter sur une rallonge de 50 millions d’€ sur son budget « logement étudiant ». Le maire UMP de la ville normande, M. Antoine RUFENACHT, compte bien mettre ces futurs studios/conteneurs à la disposition des étudiants dès la rentrée prochaine. D’autres municipalités sont sur les rangs, comme Villetaneuse en Seine/Saint-Denis.
En tout cas, dans l’impossibilité de pouvoir encore analy
ser le cas français, que penser de ce nouveau concept urbain là où il existe déjà ?
Conteneurisation, piège à cons ?
Là où il existe, il est vrai qu’il y rencontre un incontestable succès, notamment aux Pays-Bas. Toutefois, attention de ne pas céder à l’emballement. Surtout que le battage médiatique prend évidemment de l’ampleur (un reportage de France3, c.f ci-dessous, avait fait grand bruit il y a plus d’un an, et j’ai ouï dire que Zone/Interdite se penchera sur le cas prochainement).
Car, premièrement, là-bas, l’idée s’est accompagnée d’une poursuite des constructions de logements à loyers modérés. Faisant même du pays, la première nation européenne quant au ratio nombre de logements sociaux/habitants*[2]. Et il est d’ores-et-déjà prévu à terme de les démolir, ou de n’en faire qu’une force d’appoint, d’ajustement très limitée. Or, en France, l’introduction du concept semble plutôt, elle, se faire dans un contexte de réponse précipitée, mais surtout pérenne, à la pénurie chronique de logements sociaux et étudiants. Rejoignant du même coup l’expérience « Grands ensembles » menée à grande échelle dans le pays entre 1945 et 1970, dont l’objectif était de combler rapidement les besoins au sortir du second conflit mondial, tout en se limitant normalement dans le temps. On a vu depuis ce qu’est devenue cette solution temporaire/provisoire, désormais accusée suite à son évolution de tous les dérèglements urbains, sociaux, et sociétaux du pays. Il ne faudrait donc pas transformer l’expérience « container », sans doute utile à mener, en un simple « remake » encore plus mal fagoté que l’original. En somme, ne pas inventer simplement de grands ensembles « new-generation » ou « 2.0 » qui, vu les politiques publiques menées en la matière, suivraient le même triste chemin que leurs ainées. D’autant que l’on annonce une durée de vie encore plus limitée pour ces logements modulaires que pour leurs aïeux de béton, à peine une soixantaine d’années. C’est donc dès maintenant qu’il faut réfléchir, tout en développant l’expérience, aux logements pérennes et écologiquement durables de demain.
Cela dit, d’autres tares sont à souligner égalemen
t. Et pour le coup, ce sont bien elles qui risquent de devenir la véritable plaie pour les résidents, car vécues au quotidien. Ainsi, que dire du manque total d’isolation phonique et thermique des logements/conteneurs. Les étudiants amstellodamois s’en plaignent déjà avec insistance, plaisantant sur l’activité nocturne qui n’est même pas toujours très intense de leurs voisins de chambre.
Ensuite, à l’image de ce qui s’est fait pour les grands ensembles dans les années 1950/1960, il ne faudrait pas que se crée de nouveau, avec la naissance de ces micro-quartiers conteneurisés, des néo-ghettos urbains enclavés, délaissés par les services publics ou les commerces. Certes, à Amsterdam, la présence, au cœur de l’îlot créé, d’un supermarché ou d’un atelier de réparation de vélos impulse une dynamique urbaine indéniable. Toutefois, cela vaut surtout pour l’exemple du centre-ville, pour le bâtiment né sur les friches portuaires, on insiste déjà davantage sur la vue que sur les services pour faire venir les étudiants. Et côté transport, c’est faîtes la « vélorution », et ne compter pas trop sur une offre publique qui, sachant les coûts et les durées de mises en chantier, ne serait de toute façon pas disponible avant plusieurs années, voire décennies. Ce qui la rendrait alors du même coup injustifiable auprès de la collectivité, si l’on évacue les conteneurs dix à vingt ans après !
Bref, le conteneur en ville est à tenter. Mais, il faudra être vigilant sur ce que veulent en faire les décideurs afin que l’on ne renouvelle pas certaines expériences urbaines malheureuses qui se sont transformées, bien malgré elles, en cauchemar pour leurs habitants, et qui sont trop souvent à tort pointées du doigt aujourd’hui par les mêmes responsables qui les vantaient il y a peu. En tout cas, espérons surtout que la réalité ne rejoigne pas la science-fiction qui pourrait bien encore avoir été visionnaire sur ce plan. Auquel cas, nous serons tous des Korben DALLAS [c.f le Cinquième élément] en puissance dans nos boites de conserve sagement empilées.
Eric BAIL pour èV_
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[1] Chiffres représentant les étudiants qui ne vivent pas chez leurs parents, sur un total de 2,2 millions d’étudiants en France. Chiffres de 2007 in dossier « L’éternel crise du logement étudiant », letudiant.fr et lacroix.fr.
[2] 147/1 000 habitants aux Pays-Bas, contre 70 à peine pour la France. Source : fr.wikipedia.org.
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Vidéo - reportage de France3 :
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Sources : letudiant.fr ; lacroix.fr ; lepoint.fr ; leparisien.fr ; lavieeco.com ; couleurgeek.com ; espacetemps.net ; TELLIER (Thibaut), Le Temps des HLM, 1945/1975, La saga urbaine des Trente Glorieuses, Paris, Autrement, 2007, 220 p.
Vous aurez bien évidemment souligné, en ce qui concerne les sous-titres, la référence estudiantine à V/68 : « l’imagination au pouvoir » ; « sous les pavés, la plage » et « élections, pièges à cons ».
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